Arès n'avait pas beaucoup dormi. Il s'était changé dans les cabinets pour éviter sa chambre à coucher et attendait la visite de Flavius Cornix. Augustus et sa mère lui tenaient compagnie.
- Quelles fonctions te seront attribuées ? demanda son jeune frère, évitant soigneusement de parler de son épouse.
- Je l'ignore encore.
Arès avait la guerre dans le sang et des réflexes de soldat. Servir l'Empire donnerait un but à son existence, et peut-être oublierait-il la furie qui s'était enfermée à l'étage...
Quand Flavius arriva, il visita la demeure de son gendre ; il manquait encore quelques meubles. Puis il alla s'entretenir avec Arès sous le kiosque du jardin.
- L'empereur a eu vent de tes exploits au Colisée, confia le patricien. Il souhaite faire de toi son nouveau général d'armée, Marcus étant décédé. Sa famille, les Cassius, t'ont dans le viseur. Ils veulent venger Marcus.
Encore Marcus. Même mort, ce gladiateur avait le don de l'agacer comme personne. Arès ne redoutait pas un seul instant les Cassius.
Il s'était presque réjoui. Presque. Mais les généraux romains ne participent aux batailles qu'en dernier recours. Il resterait donc coincé ici la majorité du temps.
- Je vais me rendre au palais aujourd'hui, décida Arès.
- Je vais t'accompagner, insista Flavius. C'est à une demi-heure d'ici, au cœur de Rome.
Arès savait déjà tout cela. Il avait déjà eu l'occasion de se rendre au palais, mais un certain trac s'empara de lui. Et si l'empereur ne lui avait pas pardonné la raison de son exil ?
Flavius avait une calèche, qui n'attendait plus qu'eux. Belinda Octavius insista néanmoins pour qu'ils mangent avant de se rendre au palais. Arès était donc retourné à l'intérieur où il croisa, à la table de réception, Laure.
Pris de court, Flavius faillit trébucher et dévisagea sa fille comme s'il n'en croyait pas ses yeux. Ce n'est qu'une fois assis qu'il s'expliqua :
- Laure quittait rarement sa chambre. Une esclave lui apportait son repas deux fois par jour.
Arès éprouva une étrange fascination envers cette fille qui faisait semblant de ne pas entendre. Qui sait ce que les autres lui avaient dit, en pensant naïvement qu'elle ne les comprenait pas ! Cela pouvait justifier en partie sa colère. Mais à l'origine, ce plan était celui de Laure - et de son maudit Marcus. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même.
Il la détailla du regard. Ses cheveux étaient habilement noués en une couronne de tresses, sur sa nuque. Sa peau était lisse et douce comme de la soie, mais Arès n'avait jamais eu l'occasion de la toucher sans brusquerie. Dans sa robe blanche et dorée, elle ressemblait à n'importe quelle autre femme fraîchement mariée. Alors qu'au fond, il n'en était rien.
Arès n'avait pas envie de lui accorder sa confiance, et la réciproque était vraie. Elle mentait trop et trop bien. Elle était peut-être pire que Paulla.
Il attendit qu'Augustus, sa mère et Flavius finissent de manger pour prendre son épouse à part. Une question le taraudait depuis la nuit dernière.
- Il n'y a personne, indiqua Arès quand il l'entraîna dans les cuisines.
Laure se libéra de sa poigne, non sans froideur. Elle roula des épaules pour l'interroger.
- Pourquoi m'as-tu parlé, hier ? demanda t-il. Tu n'as rien dit devant ton père.
Laure se mordit la lèvre pensivement, ce qui retourna quelque chose dans l'estomac d'Arès.
- Tu aurais fini par le découvrir, maintenant que mes plans sont à l'eau. Mais je ne peux pas dire à mon père du jour au lendemain que ma... "situation" n'était qu'un leurre, répondit-elle. Je dois continuer à jouer ce rôle, jusqu'à ce qu'un nouvel accident me permette d'être miraculeusement "guérie".
Cette situation devenait irréaliste. L'expression d'Arès devint plus sévère que d'habitude, si c'était encore possible.
- Après tout ce qu'il a fait pour toi, Flavius mérite de connaître la vérité.
- De quoi te mêles-tu ? s'emporta t-elle. Tu ne sais rien ! Tu étais dans les bois ou je ne sais où quand mes parents ont voulu me marier à un vieillard fripé comme un pruneau sec et à la réputation houleuse ! C'était le seul moyen convenable d'y échapper.
- C'était aussi ton devoir de te marier, rétorqua t-il durement.
Laure serra ses petits poings jusqu'à s'entailler les paumes.
- Épargne-moi tes discours moralisateurs. Moi au moins, je ne suis pas une meurtrière.
C'en était trop. Arès s'approcha d'elle pour la coincer dans l'angle du mur. La cuisine sembla soudain exiguë. Il ignorait qui, de son parfum capiteux ou de son arrogance, l'avait poussé à cette proximité. Une chose était sûre : cette fille le faisait sortir de ses gonds. À chaque fois, il perdait le contrôle.
- Sais-tu comment je l'ai tué ? murmura t-il près de son oreille.
Il glissa un de ses doigts calleux sur la gorge de la jeune fille qui, comme escompté, était douce. Cela créait un contraste si agréable avec sa propre peau, cuivrée et couverte de cicatrices. Malgré son tempérament de feu, elle sembla beaucoup plus vulnérable, quoique trop fière pour l'admettre.
- Je lui ai tranché la gorge, reprit-il en serrant plus fort le cou de Laure. Comme avec ton Marcus. Veux-tu finir comme ces deux hommes ?
Laure essaya de lui échapper, en vain. Arès se pressa davantage contre elle, avide de son parfum et ses cheveux. Ses mains tenaient fermement celles, plus fines et pâles, de Laure.
- Sais-tu pourquoi j'ai tué cet homme, il y a dix ans ?
Arès parlait d'une voix rauque, distrait par le corps de la jeune fille. Lui qui avait voulu l'effrayer - et qui y était parvenu - avait une envie soudaine et urgente de la toucher. Il huma sa nuque, ses lèvres frôlant sa clavicule. Il ne comprenait pas ce qui lui prenait, de l'intimider ainsi ; mais c'était un sentiment irrépressible. Plus fort que lui.
Laure, qui avait retenu son souffle aussi longtemps que possible, repoussa soudain Arès de toutes ses forces. Le jeune Octavius tituba en clignant des yeux, la gorge asséchée par toutes les émotions qui s'étaient emparées de lui au contact de Laure.
- Ne me touche pas ! s'écria t-elle, rouge jusqu'à la racine des cheveux. Je ne veux pas savoir pourquoi tu as tué ce malheureux il y a une décennie ! Tout ce que je veux, c'est...
Elle ne termina pas sa phrase. Les yeux écarquillés, elle fixa la tête rousse qui venait d'apparaître dans la cuisine. Arès se retourna lentement. La bouche grande ouverte, l'esclave Maia les dévisageait.
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À partir de maintenant, la narration sera davantage axée sur les pensées de Laure. Je vous embrasse d'ici le chap 8 ❤❤❤
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Couronne de laurier
RomanceRome antique, Un combattant dans une arène. Ce qu'il veut ? Gagner pour sortir de son exil et retrouver sa place parmi les siens. Ce qu'il ignore, en revanche, c'est qu'il n'y a pas seulement une couronne de lauriers à remporter, mais aussi la main...