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Arès resta figé quelques instants. Augustus et sa mère eurent l'air désolé.

- Mon fils, commença sa mère, du calme.

- Laure quitte rarement la maison, ajouta maladroitement Hélène. Elle est incontrôlable et peut adopter un comportement pour le moins...

- Imprévisible, trancha Flavius.

La fureur faisait bouillir le sang d'Arès et vibrer ses muscles.

- Non seulement elle n'entend et ne parle pas, mais en plus elle est folle ? s'écria t-il en se relevant.

- Je t'interdis d'élever le ton chez moi ! rétorqua Flavius en se levant aussi. Ou d'insulter ma fille !

Arès eut un rire sans joie et s'avança, jusqu'à ce qu'Augustus ne s'interpose entre eux.

- Je ne manque de respect à personne, reprit Arès. J'expose les faits. Et dans les faits, je suis pris au piège dans vos filets, Cornix !

- Pas du tout, assura Flavius. Vous avez encore le luxe de refuser ce mariage. Mais cela inclura un nouvel exil.

Le silence de plomb s'abattit. Arès était tellement furibond qu'il ne tenait plus en place.

- Mon frère, intervint Augustus, un banquet est organisé en ton honneur ce soir. Je sais que c'est injuste, mais cette alliance avec les Cornix serait la solution idéale pour sortir notre famille de la déchéance. Les Octavius sont encore nombreux ; nous pouvons redevenir comme avant.

Un élan de culpabilité submergea Arès. C'était lui qui avait plongé sa famille dans la déchéance. C'était logiquement à lui de les en sortir.

Il planta son regard aiguisé comme une lame dans celui de Flavius.

- Si j'accepte ce mariage, c'est uniquement au nom des Octavius.

- Une demeure vous sera offerte après la cérémonie, promit le vieux patricien. Vous y logerez votre famille et ma fille, qui sera désormais sous votre responsabilité.

Arès ne voulait rien entendre de plus. Il quitta la pièce et fit les cent pas dans celle où le médecin l'avait soigné un peu plus tôt. Il avait l'impression de perdre la tête. Sa vie qui ressemblait enfin à un rêve mais virait à présent au cauchemar. Il en avait toujours été ainsi.

- Mon frère, dit Augustus qui l'avait rejoint, à quoi penses-tu ?

Arès s'arrêta de marcher.

- Au banquet de ce soir.

- Tu le redoutes ?

- Non, répliqua Arès. Il me tarde de retrouver les Octavius au complet.

- Ils te forceront la main pour que tu épouses Laure Cornix, tu sais.

Arès jeta un regard vers la fenêtre. Exilé, il avait été libre. Aujourd'hui, il était redevenu un oiseau en cage.

- Oui, dit-il. Je sais.

Le banquet eut lieu chez les Cornix. Arès avait prit place à une des grandes tables installées dans le jardin, où il était au cœur de l'attention. Son triomphe au Colisée semblait avoir éclipsé ses actes passés. Les Romains buvaient à sa santé et les Octavius, qui auraient pu être rancuniers, voyaient à présent en Arès leur salut.

- Buvons à la santé du Dieu de la Guerre ! s'exclama le cousin d'Arès.

L'ivresse et la musique avaient pris possession des invités. Seul Arès demeurait sobre. Dans quelques jours, il serait lié à vie à une sourde, muette et folle. S'il s'enivrait, il ne pourrait certainement plus s'arrêter.

Il leva ses yeux humides vers une des fenêtres de la maison. Enfermée quelque part à l'étage, Laure Cornix devait se demander qui était son époux.

Si elle savait, songea t-il amèrement.

À croire que les Dieux le punissaient une deuxième fois.

Augustus secoua l'épaule de son aîné pour réclamer son attention. Il vit Hélène approcher avec une jeune fille, qui devait probablement être Laure Cornix.

Arès se redressa dans son siège.

Il ne l'aimait pas.

Elle était frêle et petite. Ses yeux étaient trop grands, trop colorés, comme s'ils voulaient exprimer tous ce que ses lèvres charnues ne pouvaient dire. Sa peau d'albâtre était dénuée de défauts et ses cheveux tressés au sommet de sa tête brillaient d'un reflet doré. Avec sa taille fine, soulignée par les plis de sa robe, et son teint de porcelaine, elle semblait irréelle.

Une déesse.

Elle était belle mais il ne l'aimait pas.

- Un veinard, cet Arès ! s'exclama quelqu'un d'ivre.

Le voisin de ce dernier le réprimanda du regard. L'ivre mort répondit :

- Quoi ? Moi je paierai cher pour que ma femme soit agréable à regarder et incapable d'ouvrir son clapet pendant que je la...

Pour ne pas en entendre plus, Arès quitta son siège. La coutume voulait qu'il baise la main de sa promise.

Il s'inclina sous les regards des convives et devant Laure. Ses doigts fins étaient froids. Il posa rapidement ses lèvres dessus sans rien dire car, de toute façon, elle n'entendrait pas.

Il fut étonné de ne pas sentir Laure intimidée ou apeurée.

En fait, elle semblait même en colère.

- Installons les fiancés côte à côte, suggéra Hélène.

Ils s'exécutèrent sans plus se regarder. Laure était immobile, lèvres scellées, sans réagir aux propos de ses voisins. Quand la foule se dispersa un peu, Arès retourna chez sa mère et son frère, soulagé de ne plus sentir la présence de cette fille silencieuse dont les pensées semblaient hurler à l'intérieur d'elle. Pas étonnant qu'elle ait perdu la tête. Il avait peur de perdre la sienne aussi.

- Arès, tu te sens bien ? s'inquiéta Augustus quand ils arrivent devant leur maison dégradée par le temps.

La nostalgie pointa. Mais Arès ne perdit pas ses moyens.

- Rentre, mon frère, dit-il. J'aimerais respirer un peu.

Augustus acquiesça et suivit sa mère à l'intérieur. Seul sous la voûte céleste, Arès se fit la promesse que bientôt, Belinda et Augustus Octavius vivraient comme des rois dans une nouvelle demeure, et qu'il rattraperait le temps perdu.

- Arès, l'appela une voix qu'il ne reconnut pas de suite. Tu m'avais manqué.

Couronne de laurierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant