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Deux jours passèrent. Laure avait décidé d'accompagner Maia au marché. C'était la première fois qu'elle se promenait dehors depuis des années. Quand elle croisa tous ces gens, parmi tant d'étalages, elle eut envie de leur crier qu'elle n'était pas sourde. Faute de quoi, elle désigna du doigt les fruits et légumes que Maia devait acheter.

Depuis que son état s'était aggravé, Arès dormait près d'elle - à l'autre extrémité du lit. Laure était toujours aussi enrhumée. Arès prenait régulièrement sa température et lui donnait les remèdes prescrits, sinon il ne la touchait jamais. Il venait se coucher quand elle était endormie et partait avant qu'elle ne se lève. Cela la perturbait plus qu'elle ne l'aurait admis.

Était-il si inquiet pour sa santé ?

Dormiraient-ils ensemble quand elle serait guérie ?

- Ce n'est pas trop dur de porter toutes ces courses seule ? demanda t-elle à Maia lorsqu'elles furent à l'abri des regards.

- Ne vous en faites pas, maîtresse.

Bien que plus jeune, Maia n'était pas aussi frêle qu'elle. Elle porta les sacs jusqu'à ce qu'elles ne croisent un groupe de patriciens.

Parmi ces jeunes hommes, Laure reconnut un de ses cousins, qui l'ignora. Comme le reste de sa famille, il la croyait psychologiquement instable et donc indigne d'intérêt. Il était aussi arrogant que les autres patriciens, vêtus d'or et de pourpre.

- Je dois vous laisser, à plus tard, s'excusa l'un d'eux.

C'était Augustus. Laure ne savait pas encore quoi penser de son beau-frère. Physiquement, il ressemblait à Arès. Mais son tempérament tranquille et nonchalant était opposé à celui de son époux. Augustus ne donnait pas l'impression de porter le monde sur ses épaules, à l'inverse de son aîné.

- Je vais prendre ces sacs, s'enquit-il.

Laure écarquilla les yeux. Il était très rare qu'un patricien s'encombre des charges de ses esclaves pour les en soulager. Cette marque d'attention en disant long pour Laure, mais elle fit mine de n'avoir rien entendu.

- Comment vas-tu ? demanda ensuite Augustus.

Laure se demanda s'il s'adressait à elle mais en voyant Maia rougir, elle compris que non.

- Maître, vous devriez me rendre les courses...

- C'est trop lourd pour toi. Il faut croire que, malgré les apparences, ma belle-soeur aime manger.

Laure se mordit la lèvre pour camoufler son hilarité. S'il savait...

Ils étaient presque arrivés dans leur demeure quand Augustus reprit :

- Tu n'as plus de demandes, n'est-ce pas ?

Maia ouvrit grand les yeux et s'arrêta brièvement de marcher. Désormais, Laure prêtait une oreille plus qu'attentive à la conversation.

- Comment savez-vous ?

Ce fut au tour d'Augustus d'être embarrassé.

- Eh bien, c'est moi qui... J'ai dit à ton frère de rejeter tous les prétendants.

- Comment ?

Le visage de Maia était rouge pivoine. Elle arracha les sacs aux mains d'Augustus et s'excusa avant de se précipiter dans la demeure de ses maîtres. Augustus attendit d'accompagner Laure à l'intérieur pour se lancer à la poursuite de la jeune fille. Bien qu'elle eut envie de les suivre, Laure s'en abstint. Elle se sentait si faible.

- Maia ! s'exclama Augustus dans les cuisines.

- Vous ne devriez pas être ici. Je dois ranger les courses du...

Augustus prit la main de l'esclave qui s'empressa de le repousser.

- Non, dit-elle, les yeux humides. Je vous en prie, partez.

Augustus n'écouta pas. Il reprit la main de la jeune fille sur laquelle il posa un baiser.

- Je n'y arrive pas.

Sa voix rauque retourna les entrailles de Maia. Elle souffrait de le voir souffrir. Mais il devait comprendre que leur histoire était condamnée avant même de commencer.

- Si votre mère ou votre frère nous voyaient...

- Alors épouse-moi !

Elle secoua ses boucles rousses en esquissant un sourire triste.

- Une esclave et un patricien ? C'est impossible. Je regrette.

- Je ne veux pas que tu en épouses un autre ! Je ne le supporterai pas, Maia. Épouse-moi...

Elle caressa la joue d'Augustus du bout des doigts. La tendresse de ce geste plongea le garçon dans un désespoir sans fond.

- Partez, répéta t-elle. Je vous rendrais malheureux.

Résigné, Augustus quitta les cuisines. Son cœur lourd était douloureux.

- Je le suis déjà, murmura t-il.

Dans la salle de réception, Laure jouait de la lyre. La gorge nouée, l'esprit désemparé, il s'arrêta quelques minutes pour l'écouter.

Comme si elle avait saisi la profondeur de son désespoir, elle jouait de notes aussi tristes et légères que les larmes qui dévalèrent la joue du garçon - à l'endroit même où Maia l'avait touché.

- Si elle t'aime, tout n'est pas perdu.

Augustus chassa ses larmes. Il n'avait pas remarqué que sa belle-soeur avait cessé de jouer et qu'elle s'était levée.

- Qui a parlé ? demanda t-il en regardant autour de lui.

Il vit Laure sourire et il sut que c'était elle.

- Tu m'entends ? s'exclama t-il. Tu as bien parlé, n'est-ce pas ? Maia t'a dit qu'elle m'aimait ?

Pour toute réponse, elle s'avança vers lui. Mais quelque chose clochait dans sa démarche. Les yeux de Laure devinrent flous. Elle ouvrit la bouche en quête d'air, puis elle tomba raide sur le tapis.

Couronne de laurierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant