Chapitre 3 : Moins on en sait, mieux c'est

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Le lendemain matin, assis au bord de son lit, Nick est pensif. Et pas seulement à cause de la mort de Charles, ou du fait que des éléments indiquent qu'il s'agisse d'un meurtre. Quelque chose d'autre le préoccupe. Mais ses réflexions sont interrompues quand son fiancé, Aiden, sort de la salle de bain. Il s'approche pour l'embrasser sur le haut du crâne avant de lui demander s'il a réussi à dormir cette nuit. Les énormes cernes sous les yeux de Nick devraient être un indice important quant à la réponse, mais il dit tout de même qu'il a à peine fermé l'œil, et que les retournements incessants d'Aiden dans le lit n'ont pas vraiment aidé.

Tandis qu'Aiden attrape une chemise dans le placard pour l'enfiler, il commence à parler des gâteaux de mariage qu'ils doivent goûter avant de prendre leur décision. Une tentative de conversation normale dans une journée qui semble surréaliste.

— On doit vite se décider rapidement, rappelle-t-il. Le mariage est dans moins d'un mois.

N'ayant pas vraiment prêté attention à ce qu'il vient de dire, Nick n'a perçu que les mots gâteau et mariage. C'est suffisant pour savoir que le moment n'est pas approprié pour parler de ça. Il se lève et tourne sa tête vers Aiden.

— Où est-elle ? demande-t-il, décidé à ne pas tourner autour du pot.

Aiden semble dérouté par ce changement brutal de sujet.

— De quoi tu parles ?

— Tu le sais très bien. La clé USB. Où est-ce que tu l'as mise ?

— Dans la commode, soupire Aiden en signe de capitulation. Le tiroir du haut.

Nick se dirige vers l'emplacement indiqué, de l'autre côté de leur chambre à la décoration sobre et moderne, où rien ne traîne par terre et où chaque chose est à sa place. Tout cela grâce au côté maniaque d'Aiden, qui sort son kit de nettoyage dès qu'il aperçoit ne serait-ce que l'ombre d'une tâche.

Après avoir récupéré la fameuse clé USB, Nick attrape une statuette qui décore le haut de la commode. Ils en ont fait l'acquisition lors de leur voyage dans le sud de l'Italie, quelques mois auparavant. L'incompréhension se lit sur le visage d'Aiden.

— Qu'est-ce que tu fais ? formule-t-il d'une voix hésitante.

— Je vais la détruire.

— Tu es sûr que c'est la meilleure chose à faire ?

— Ce qu'il y a là-dessus pourrait faire de nous des suspects. Et le fait même qu'on l'ait en notre possession nous fait paraître coupable. Alors, oui, je suis sûr que c'est la meilleure chose à faire. C'est comme ça qu'on évite d'aller en prison.

Ces mots ne venaient pas du gentil Nick qui essaye de ne jamais froisser personne, mais de Maître Nick Lance, avocat qui réfléchit de façon méthodique et stratégique. D'ordinaire, le jeune homme essaye de séparer la personne qu'il est au travail de celle qu'il est à la maison. Mais aux grands maux les grands remèdes. Avec le long soupir qu'il laisse échapper, Aiden montre qu'il n'a aucune intention de chercher à débattre avec Nick. Il reconnait facilement un de ces moments où, quand son fiancé a quelque chose en tête, rien ne sert d'essayer de le faire changer d'avis. Ce serait peine perdue.

Prenant son silence comme un signe d'accord, Nick se met à genoux et place la clé USB sur le sol. Il utilise ensuite la statuette dans sa main gauche pour la détruire, elle et les données se trouvant à l'intérieur. Il se dirige ensuite vers la poubelle pour jeter les différents morceaux qui ont été éparpillés par terre, mais il s'arrête net quand il entend la voix d'Aiden dans son dos.

— Tu sais où étaient les autres cette nuit-là ? demande-t-il.

— Non. Mais je ne veux pas le savoir. On va être interrogés par la police et il faut qu'on ait l'air le plus innocent possible. Alors, fais-moi confiance — moins on en sait, mieux c'est.

Aiden a l'air à la fois impressionné et rassuré par le calme de Nick, mais aussi complètement dépassé par les événements et les secrets qu'il doit garder. De son côté, Nick est soulagé que son fiancé n'ait pas remarqué que lui aussi est totalement paniqué.

****

De l'autre côté de la ville, un gobelet de café de chez Starbucks à la main, Manon marche en direction de son appartement. Une grande paire de lunettes noire couvre une grande partie de son visage. Elle aussi a passé une nuit très courte, préoccupée par l'enquête pour meurtre dans laquelle elle se retrouve soudainement impliquée. Même si son bon sens lui déconseillait de le faire, elle est allée voir ce qui se disait sur les réseaux sociaux à propos de Charles. Le compte Instagram du jeune homme a gagné des milliers de followers après l'annonce de sa mort. Il y a aussi de nombreux tweets qui disent à quel point c'était une personne formidable et d'autres qui apportent du soutien à sa famille et ses amis, utilisant le #RIPCharles.

Alors, il est soudain devenu un saint parce qu'il est mort ? se demande Manon. Qu'est-ce qui leur permet de juger de ses qualités humaines ? Ses photos torse-nu sur Instagram ou ses tweets décrivant chaque aspect de sa vie de jeune héritier pourri gâté ? Manon referme ces applications avant d'être horripilée davantage.

Pour le moment, elle essaye de faire le vide dans sa tête. Pas besoin de penser à tous les problèmes potentiels qui l'attendent alors que le tournage de son nouveau film débute dans à peine quelques jours. Il faut absolument qu'elle se donne à cent-pour-cent pour ce rôle. Elle en a trop bavé pour qu'un réalisateur décide enfin de lui faire confiance.

Alors qu'elle arrive devant son immeuble, elle voit une horde de paparazzis se précipiter vers elle, comme si elle était soudain devenue Beyoncé au cours de la nuit précédente. Les flashs des appareils photos braqués sur elle crépitent, et les questions se multiplient. Ils parlent tous les uns sur les autres.

Comment avez-vous réagi à l'annonce de la mort de votre ami Charles St. Vincent ?

Avez-vous été interrogée par la police ?

Avez-vous une idée de qui aurait pu le tuer ?

Bande de vautours. Manon se contente simplement de répondre qu'elle ne fera aucun commentaire, avant de passer son chemin. Mais elle s'arrête net en entendant la question d'un des paparazzis à la voix caverneuse.

— Pensez-vous être une suspecte à cause du scandale des vidéos ?

Elle se retourne vers lui, après avoir adopté un visage le plus neutre possible, qui ne laisse pas transparaître son embarras.

— Il n'y a pas de scandale, répond-t-elle simplement. Des vidéos privées ont été publiées à mon insu sur internet et elles ont été retirées. Fin de l'histoire.

— Mais c'est Charles St. Vincent qui avait posté les vidéos, non ? revient à la charge le paparazzi.

Surprise que quelqu'un soit au courant de cette partie de l'histoire, Manon ne trouve rien d'autre à répondre que de répéter :

— Aucun commentaire.

Les charognards espèrent toujours obtenir le moindre petit faux pas de sa part, afin de vendre l'information au plus offrant. Plus ce sera scandaleux, meilleure sera la récompense. Mais Manon sait bien qu'elle n'est pas assez connue pour que la somme soit faramineuse. Ce soudain intérêt pour elle vient uniquement de sa présence à une soirée qui s'est terminée par le meurtre d'un jeune héritier adulé par sa communauté et à l'avenir prometteur. Ce sont les mots utilisés dans l'édition de ce matin du journal local. Un beau ramassis de conneries, s'était insurgée Manon en lisant quelques lignes de l'article.

Une chose est sûre : elle ne leur donnera pas la satisfaction de lui avoir arraché la moindre information. Elle se contente de tous les contourner pour pouvoir entrer dans son appartement.

Une fois à l'intérieur, elle s'adosse à la porte et expire fortement. Elle prend quelques secondes pour se remettre de l'agitation qu'elle vient de traverser. Ici, c'est le calme total, mis à part le bourdonnement du réfrigérateur. Manon pose ses affaires sur la table avant d'aller à son placard, dans l'angle de la pièce de vie. Elle ouvre les portes battantes et attrape une boite à chaussures sur l'étagère du haut. D'un coup d'œil furtif, elle vérifie que ce qu'elle y a caché est toujours dedans. Et c'est le cas.

Manon est à la fois soulagée et inquiète car elle n'est pas entièrement sûre de ce qu'elle doit faire avec le téléphone portable de Charles.

Notre meilleur ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant