Notre meilleur ennemi

Chapitre 32 : Il méritait de mourir

Si une paroi de verre ne les séparait pas, Alex pourrait frapper Eliza jusqu'à ce qu'elle montre ne serait-ce qu'une once de remords. Ce serait un bon moyen d'extérioriser toute la colère qu'elle a accumulée depuis tout ce temps. Mais la paroi est bel et bien là, et le visage d'Eliza de l'autre côté lui donne la nausée. Des dizaines d'insultes fusent dans son esprit, mais elle préférerait obtenir de réelles réponses. Elle a passé tellement d'heures à imaginer ce qui a bien pu se passer le soir de l'anniversaire de Charles ; maintenant qu'elle est face à la personne qui était avec lui dans ses derniers instants, c'est l'occasion d'en avoir le cœur net.

— Comment tu as pu faire ça ? demande-t-elle, incrédule. Tu as menti depuis le début, tu as manipulé tout le monde... Tu les as tués.

— J'essayais seulement de survivre, d'éviter de finir en prison. C'est ce que j'ai toujours fait. Après mes parents, après Charles, après le bébé. Je suis une survivante. C'est la seule et unique chose que je ne déteste pas chez moi, ma capacité à me relever même quand la vie continue de me mettre à terre.

— Je t'admirais pour cette raison. Je trouvais que tu étais une personne très forte. Plus maintenant.

Alex repense même à la peine qu'elle avait pour elle en découvrant son passé compliqué. Mais il est hors de question de se servir de ses traumatismes pour justifier ses actes abjects. Eliza hoche la tête, comme pour signifier qu'elle comprend tout à fait ce qu'elle veut dire.

— Crois-moi, dit-elle comme si sa parole avait une quelconque valeur, toutes les choses négatives que tu es en train de penser à mon sujet, je les ai déjà pensées par moi-même.

— Tu veux une médaille parce que tu es consciente d'être un monstre ?!

— Je ne cherche pas le pardon, Alex. C'est trop tard pour ça. Je ne fais que t'expliquer comment tout ça a pu arriver.

— Et que s'est-il passé exactement ? C'était le plan depuis le début de tuer Charles ce soir-là ?

— Pas du tout. Mais il ne m'a pas laissé le choix, lui non plus.

LA NUIT DU MEURTRE

23H55

Où est-ce que tu es passé ? Je ne te vois nulle part à la fête. Il faut qu'on parle. Rappelle-moi. Un message vocal laissé à Charles quelques minutes auparavant. Une intonation se voulant inquiète. Une manière de détourner les soupçons quand il sera porté disparu. Eliza est persuadée que son plan va fonctionner. La petite idée de vengeance d'Alex lui offre l'opportunité parfaite de faire ce qu'elle a à faire sans être repérée par les caméras de surveillance. Et une fois qu'ils auront humilié Charles publiquement en plein cœur de sa soirée d'anniversaire, sa disparition pourra être expliquée par un sentiment de honte insupportable qui l'aurait poussé à fuir sans rien dire à qui que ce soit. En tout cas, ça devrait fonctionner durant quelques jours. Ce sera suffisant pour semer le doute, se rassure Eliza tout en dévisageant son propre reflet dans le miroir installé au plafond de l'ascenseur. Elle vérifie une nouvelle fois le contenu de son sac à main. Sa seringue remplie d'un sédatif est bien là. Parfait.

Charles est monté dans son penthouse il y a cinquante minutes, et elle ne l'a pas vu redescendre depuis. C'est le moment ou jamais. Elle remonte le couloir du dernier étage de l'hôtel dans sa combinaison de soirée — un gant sur chaque main — pour arriver à destination. J'aurais pu vivre ici avec lui, pense-t-elle en poussant la porte, restée entrebâillée. J'aurais dû vivre ici avec lui. Mais elle ne doit pas se laisser abattre par les souvenirs de ce qui lui a été arraché. Elle doit penser au futur qui l'attend. Si la vie a décidé de ne pas lui donner ce qu'elle veut, alors elle le prendra par elle-même. Vous devez reprendre le contrôle de votre vie, répète toujours le Docteur Pollier lors de leur séances. Ce n'est sûrement pas ce qu'elle avait en tête, mais c'est ce qu'Eliza désire plus que tout : retrouver ce qu'elle avait avec Charles. Il est le grand amour de sa vie, elle en est persuadée. Il n'y a personne d'autre. Il n'y aura jamais personne d'autre. Elle va le ramener dans la pièce aménagée spécialement pour lui, et il sera à sa place, auprès d'elle. Les débuts seront sûrement difficiles, car il ne comprendra pas que c'est pour son bien qu'elle le garde isolé au sous-sol. Si elle ne le fait pas, le monde extérieur va empoisonner son esprit une nouvelle fois. Et elle ne supporterait pas de le revoir s'éloigner d'elle et disparaître de sa vie. Avec le temps, ils seront heureux ensemble. C'est certain. Il le faut.