Chapitre 11 : Une cible facile

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Alex fait tourner le mitigeur de sa douche pour que l'eau se déverse dans la cabine. Sa main tremble encore à cause de la découverte qu'elle a faite dans son coffre. Sous l'effet de la panique, elle a décidé de rouler vers un coin complètement isolé pour mettre le feu au foulard tâché de sang. Une vingtaine de minutes plus tard, elle a appelé Nick pour qu'il la rassure et qu'il lui donne son avis sur la situation. Il a fait de son mieux, mais toute cette histoire n'inspire pas vraiment la confiance et la sérénité. En particulier car Alex lui a avoué qu'elle ne se souvient pas comment elle s'est retrouvée dans le lit de sa chambre d'hôtel le lendemain du meurtre.

"Je ne me rappelle pas ce qui s'est passé" n'est pas exactement le meilleur des alibis. Elle se répète qu'elle n'a rien fait à Charles, car elle s'en sait incapable, mais d'un point de vue extérieur, elle parait de plus en plus coupable.

Que s'est-il passé cette nuit-là ? Pourquoi a-t-elle perdu connaissance ? Comment le foulard s'est-il retrouvé dans sa voiture, plein de sang ? Toutes ces questions la hantent tandis que l'eau chaude — presque brûlante — coule le long de son corps. Elle met autant de shampoing que possible dans une tentative d'estomper l'odeur de fumée dans ses cheveux.

Un bruit sourd sort Alex de ses pensées instantanément. Elle coupe l'eau et tend l'oreille pour vérifier qu'elle ne l'a pas imaginé. Son niveau de stress augmente encore plus quand elle réalise que les bruits viennent de l'intérieur de son appartement. Elle s'empresse d'attraper une serviette sur le portant pour l'enrouler autour d'elle.

Avec appréhension, la jeune femme sort de la salle de bain, complètement trempée. Elle essaye d'avancer le plus discrètement possible, malgré le parquet très sensible sous ses pieds, tout en balayant la grande pièce de gauche à droite avec son regard. On dirait que personne n'est là. Mais son attention est attirée par un objet posé sur l'îlot de cuisine. Le faible éclairage ne lui permet pas de distinguer clairement ce dont il s'agit. Un long grincement provenant de la porte d'entrée la fait sursauter. Instinctivement, Alex attrape un large couteau de cuisine près de l'évier et le brandit devant elle, prête à se défendre.

En tournant la tête, elle réalise que la porte est grande ouverte, comme si quelqu'un l'avait forcée. Alex tend sa main libre pour presser l'interrupteur à côté d'elle et ainsi allumer les lumières de la cuisine.

La main encore plus tremblante qu'avant, elle saisit le petit lecteur audio qui a été déposé sur l'îlot de cuisine, près d'un morceau de papier. Après un instant d'hésitation, Alex presse le bouton de l'appareil pour lancer la lecture et écouter ce qui se trouve dessus. Dans la perplexité la plus totale, elle entend le son de l'enregistrement se diffuser dans tout l'appartement quand il sort de son enceinte connectée, dans le salon.

Alex a un petit mouvement de recul quand elle comprend qu'il s'agit d'un enregistrement de sa conversation téléphonique avec Nick — mais il n'y a que des bribes de ce qu'Alex a réussi à articuler. Elle s'entend dire, d'une voix paniquée : J'ai dû brûler le foulard, il y avait plein de sang dessus. Du sang partout. C'était peut-être... celui de Charles. Je ne me souviens pas de ce qui s'est passé cette nuit-là. Je me rappelle juste m'être réveillée avec un mal de crâne le lendemain, quand le corps a été retrouvé. Je suis totalement paniquée, c'est un cauchemar...

Le montage des phrases d'Alex mises bout à bout s'arrête brutalement et laisse cette dernière sous le choc. Elle sent son cœur faire des bonds dans sa poitrine et sa gorge se serrer. Quelqu'un a un enregistrement qui la fait paraitre encore plus coupable qu'avant. Tout le monde semble déjà penser que c'est une meurtrière, mais en écoutant ça, le moindre doute persistant sera instantanément effacé. Entre son casier judiciaire et ses démêlés passés avec la justice, elle sait pertinemment qu'aucun jury ne pensera qu'elle est innocente, surtout avec ce genre de preuves à charge. Durant quelques secondes — qui lui paraissent être une éternité — elle s'imagine les menottes aux poignets, puis dans une cellule de prison.

Comme un malheur ne vient jamais seul, Alex repense au morceau de papier qui accompagnait le lecteur audio. Elle l'attrape avec l'intuition que ce qui est écrit dessus va finir de l'achever. Et elle ne se trompe pas. En lettres capitales, il y est écrit :

UN FAUX PAS DE TA PART ET L'ENREGISTREMENT SERA DIRECTEMENT ENVOYÉ À LA POLICE. FERME-LA OU TU FINIRAS EN COMBINAISON ORANGE POUR LE RESTANT DE TES JOURS.

Qui est le malade qui a écrit ça ? Le meurtrier de Charles ? Ou quelqu'un d'autre ? Et qu'est-elle censée ne pas dire ? Un tas de questions se bousculent dans sa tête, mais cela lui permet au moins de comprendre que quelqu'un en a bel et bien après elle. Et cette personne veut lui faire porter le chapeau pour le meurtre. Mais pourquoi elle ? Maintenant qu'Alex ressent tout cela comme une attaque personnelle, le stress et l'angoisse, bien que toujours présents, font aussi place à la rage et la détermination. Pas question de se laisser intimider par ces menaces. Il faut réfléchir vite et mettre au point une stratégie de défense face à cet ennemi inconnu. Et c'est plus que jamais le moment de garder la tête froide.

Alex prend quelques instants pour réfléchir plus calmement, et elle finit par élaborer un plan. Tout d'abord, elle éteint son téléphone pour éviter que ses conversations soient à nouveau espionnées et enregistrées à son insu. Puis elle se met des vêtements sur le dos avant d'avancer vers son placard et d'enfourner tout ce qu'elle peut dans un grand sac de voyage. Sur la dernière étagère, elle attrape le pistolet qu'elle garde pour se sentir en sécurité. Malgré un moment d'hésitation, elle le place également dans le sac.

Alex s'assure de ne pas s'arrêter un seul instant car elle sait que la moindre pause pourrait tout lui faire abandonner. C'est maintenant ou jamais. Son sac rempli du strict nécessaire sur l'épaule, elle quitte son appartement, avec l'espoir furtif de pouvoir arranger la situation et retrouver une vie normale sous peu.


La jeune femme marche quelques mètres dans les rues désertes de River Hill pour atteindre la cabine téléphonique la plus proche. Elle insère des pièces puis compose le numéro de Nick (un des seuls qu'elle connait par cœur). Bien que ce dernier ne reconnaisse pas les chiffres affichés sur l'écran de son téléphone, il décroche. Alex s'empresse alors de lui raconter ce qui vient de se passer. Sans lui laisser le temps de répondre, elle enchaîne en annonçant sa décision de partir. Nick en reste perplexe.

— Partir où ? demande-t-il après avoir intégré toutes ces nouvelles informations. Qu'est-ce que tu racontes ?

— Je ne peux pas te le dire au téléphone. Le mien était sur écoute, alors le tien l'est peut-être aussi. Il faudra que tu vérifies.

Nick souffle, comme pour signifier que toute cette histoire est dingue. Et elle l'est. Alex reprend la parole pour expliquer son plan, ou plutôt l'ébauche d'un plan, tout en se disant qu'il reste dans le thème de la folie.

— Il faut que je parte, annonce-t-elle fermement. Quelqu'un en a après moi, et si je reste dans mon appart, je serais une cible facile. Je dois me planquer quelque part, hors de portée, si je veux découvrir qui a vraiment tué Charles. C'est le seul moyen de prouver mon innocence.

Lorsqu'elle s'entend le dire à voix haute, tout semble encore plus surréaliste. Mais c'est sa nouvelle réalité désormais. Un moment de silence s'installe.

— Je sais très bien que c'est inutile d'essayer de te faire changer d'avis une fois que tu as quelque chose en tête, lance Nick d'une voix résignée, mais je ne suis vraiment pas rassuré par tout ce que tu me dis... Ça pourrait être très dangereux, Alex ! Surtout si cette personne est allée jusqu'à entrer par effraction chez toi pour te menacer. Et si c'est bien le meurtrier de Charles, il pourrait aller beaucoup plus loin... Est-ce que tu es sûre de vouloir t'engager dans cette voie ?

Alex sait qu'il a raison, mais l'idée d'être accusée à tort fait pencher la balance vers la détermination plutôt que la peur.

— Oui, j'en suis sûre.

— Qu'est-ce que je dois dire aux autres ? demande Nick à l'instant où cette idée lui traverse l'esprit. Ils vont me demander où tu es.

Se remémorant toutes les choses qu'ils lui ont craché au visage, Alex ne réfléchit pas à deux fois à sa réponse.

— Dis-leur qu'ils aillent se faire foutre.

Elle met fin à l'appel, puis se dirige vers sa voiture. Les doutes sont mis de côté, car elle est obligée de se débarrasser de l'épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Elle espère seulement pouvoir atteindre la vérité avant qu'il ne soit trop tard. C'est parti !

Notre meilleur ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant