Notre meilleur ennemi

Chapitre 10 : Tout est ta faute

Manon scrute son reflet dans la glace sans tain de la salle d'interrogatoire. Des poches sous les yeux, une mèche de cheveux rebelle et un teint pâle. La gueule de bois ne la met pas exactement à son avantage. Mais il lui fallait bien une importante quantité d'alcool pour se remettre de la réception chez les St. Vincent et oublier tous ces gens qui parlaient de Charles comme d'un martyr, d'un ange parti trop tôt.

Mieux vaut être bourrée que d'entendre ça.

Elle lève la tête vers le plafond, avant de très vite se raviser quand la lumière des néons agresse ses yeux. Elle a déjà pris deux aspirines, mais la migraine n'a pas encore complètement disparue. Elle aurait bien besoin que le processus s'accélère, non seulement car elle est sur le point d'être interrogée par Turner, mais aussi parce qu'elle doit se rendre sur le plateau de tournage de son nouveau film dans une heure. Une journée intense l'attend puisqu'elle a trois longues scènes à tourner. Elle a relativement réussi à apprendre ses répliques, mais pas suffisamment pour être au maximum de ses capacités. Elle en est bien consciente, mais la semaine passée a eu des effets néfastes sur elle.

Légèrement en retard, l'inspecteur Turner entre dans la pièce. Il s'excuse auprès de Manon pour l'attente, puis ils s'installent tous les deux à la table au milieu de la salle. Comme pour les autres, Turner commence par poser des questions assez banales. Manon lui raconte qu'elle n'a pas passé très longtemps à la fête et qu'elle est partie se coucher assez tôt dans sa chambre réservée. Parmi les documents que Turner est en train de consulter, la jeune femme remarque une liste de toutes les chambres de l'hôtel qui étaient occupées par les invités de l'anniversaire de Charles. Manon se souvient avoir trouvé ça très excessif de prêter autant de chambres à des personnes qui n'étaient même pas tous des proches, mais elle n'allait pas refuser une nuit gratuite dans une suite.

Turner passe ensuite au sujet de la relation entre Charles et Manon. Cette dernière explique qu'ils étaient amis à une époque, mais qu'ils se sont éloignés avec les années.

— On m'a parlé d'un incident avec des photos postées à votre insu sur les réseaux sociaux, lance Turner sans perdre de temps. C'est pour cette raison que vous vous êtes éloignés ? Car vous pensiez que Charles était responsable ?

Manon n'est qu'à moitié surprise qu'il évoque ce sujet. Si ces idiots de paparazzis ont été capables de faire le rapprochement, elle savait au fond d'elle qu'un inspecteur de police y arriverait sans problème, lui aussi. Sans même réfléchir, elle décide que mentir est sa meilleure option.

— Je n'ai jamais su qui était responsable, dit-elle de l'air le plus naïf qu'elle puisse simuler. Les photos ont été postées sur un compte anonyme.

— Mais vous aviez des soupçons sur son identité, non ?

— Pas vraiment. Il y avait beaucoup de monde à la fête où ces photos ont été prises.

En réalité, il n'y avait pas tant de monde que ça lors cette fameuse soirée, mais il n'a pas besoin de savoir ça. Et il ne peut pas le vérifier.

— Et vous n'avez pas cherché à le savoir ? demande-t-il comme si les mots qui sortent de la bouche de Manon n'avaient aucun sens. J'aurais été curieux à votre place...

Évidemment que Manon avait cherché à le savoir. Et ce n'était pas vraiment difficile de comprendre que Charles était derrière ce sale coup. Il a pris des photos — et même quelques vidéos — d'elle alors qu'elle était complètement ivre et qu'elle avait retiré pratiquement tous ses vêtements. Seuls son soutien-gorge et sa culotte n'avaient pas été éparpillées sur le sol de la salle à manger.

Avoir ce genre d'images de vous postées sur les réseaux sociaux est destructeur en soi, vu la cruauté de certaines personnes, mais quand on a ne serait-ce qu'un peu de notoriété, c'est encore pire. Plus de partages, plus de visibilité, et donc plus de dommages sur votre réputation. Et dans le milieu impitoyable du métier d'acteur, un tel fardeau est précisément le genre de chose qui peut rendre la tâche d'obtenir un rôle encore plus ardue qu'elle ne l'est déjà.