7. Foi

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Après une éternité à traverser les gigantiques ruines en portant Yuno, aux portes de la mort, sur un brancard improvisé, les marcheuses arrivèrent enfin à la sortie de la citadelle. Les rayons de Soleil, dont elles avaient été privées pendant toute la traversée de la citadelle, les aveuglèrent un moment.

Rebecca se permit de se laisser tomber à genoux, remerciant Soleil d'être encore en vie. Dans leur état, si les enfants de la nuit avaient retenté leur chance, les trois marcheuses ne seraient plus.
Le Nadir était bien loin à l'Ouest; le parcours des ruines les avait lourdement retardées. L'œil de Soleil était en bas-ciel, ce qui ne manqua pas de paniquer Rebecca pour qui le phénomène était inconnu.
Sofi lui expliqua donc cette théorie voulant que les rayons de Soleil ne se propageaient pas de manière linéaire, autrement le jour s'étendrait à l'infini sur la platitude morne de l'Exode. En fait, à partir d'une certaine distance, ses rayons se courbaient vers le sol: ce phénomène physique impliquait deux conséquences.
La première d'entre elles était que l'Œil apparaissait bien plus bas dans le ciel, presque au même plan que l'horizon lui-même, et beaucoup plus proche dudit horizon qu'il ne pouvait l'être. La seconde découlait de la première : à cause de cette position peu intuitive, la distance relative au Nadir ne s'en trouvait que faussée, et il était impossible de l'estimer sans une marge monstrueuse d'erreur.
Les rayons courbés vers le sol étaient du moins l'explication la plus en vogue car la plus logique parmi les rares marcheurs ayant erré dans cette zone.

Dans tous les cas, voir le Soleil en bas-ciel signifiait être proche de la délimitation de l'égide du jour - et donc, fatalement, proche de la zone de la nuit.

Elles ne perdirent pas plus de temps que celui d'un rapide diagnostic de l'estropiée. Sa peau était de plus en plus froide, sa respiration de plus en plus faible. Il lui fallait une aide dans les plus brefs délais, une aide qu'aucune d'entre elles ne pouvait apporter.
Sans autre choix ni espoir, elles se mirent en marche, soutenant la toile sur laquelle s'éteignait Yuno. Si la chanteuse portait à la main les deux bâtons -ceux-là même qui avaient repoussé et brisé les enfants de la nuit- qui tendait la civière, Sofi les avait attaché à ses équipements par des sangles nouées pour garder ses mains libres.
Alif planait par delà les landes et le rat Zivète avait repris sa place sur l'épaule de Rebecca, le regard tourné vers les Ruines qui s'éloignaient.
Sofi, elle, n'avait rien d'autre que le corps de sa camarade qui faiblissait de pas en pas et son vieux bonnet, qu'elle remettait souvent en place.
Après un long silence, la marcheuse en tête prit la parole, sans regarder Rebecca puisque celle-ci était dans son dos.

« Je suis désolée, avoua-t-elle. Pour les monstres. Enfin, pour celui que j'ai...

Elle ne finit pas.

— Ce qui est fait est fait, tenta la chanteuse.

— Ce qui est fait est fait ? Yuno n'était pas de cet avis... N'est. N'est pas de cet avis. Elle pense qu'à chaque décision s'ouvre autant de nouvel Exode que de choix à prendre. Et dans chacun d'entre eux, l'on adopte une résolution différente. Comme les branches d'un grand arbre, elle dit. Mais tu n'as pas dû croiser beaucoup d'arbres, au Chant.

— On va la sauver, tu vas voir. Puis je rejoindrai le Chant. Pensez-vous m'accompagner là-bas ? Je suis sûre que vous vous y plairez. Vous avez tellement de choses à nous apprendre...

— Je n'y ai pas ma place. Et puis... si le Chant veut apprendre, pourquoi ne le ferait-il pas lui-même ? Il ne lui faut pas un professeur ni un conteur de légende, il lui faudrait un guide autre que Soleil.

Rebecca ne répondit pas. À présent que cette soif de découvrir s'était emparée d'elle, la monotonie sans fin du Chant du Nadir ne l'attirait plus réellement. Il n'y avait là-bas que son passé et ses racines.

— Je n'ai jamais vu une telle foi, ajouta Sofi sans l'once de sa moquerie habituelle. Contre les bêtes, l'Hymne t'a... réellement aidé, je crois. Enfin, j'ai cru comprendre... 'fin, je... non, oublie. En tout cas, je n'avais jamais vu ça.

— Je ne sais pas vraiment non plus. J'imagine que l'Hymne a un pouvoir, et que c'est pourquoi les chanteurs le gardent. Il pourrait repousser le Froid, combattre le silence qu'il essaie d'instaurer, et donc vaincre les enfants de la nuit.

— L'Hymne ou la foi ? Je pense que l'objet de tes croyances importe peu, tant que tu y croies vraiment au fond de toi. Je n'ai pas la chance de croire en quoi que ce soit, mais quand je vois les miracles dont sont capables les croyants... »

Elle s'arrêta en haut d'une colline, semblant apercevoir quelque chose au loin. Elle reprit la marche, plus dynamique, avant que Rebecca n'aie eu le temps de lui demander ce qui se passait.
« Une tribu Sifale ! » s'exclama Sofi en pressant la chanteuse pour accélérer le pas. En effet, au loin, un groupe conséquent de marcheurs avançait, toujours vers l'Ouest. Bien que Sofi aie avoué ne pas croire, elle dut admettre que tout n'était peut-être pas perdu.

L'Exode BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant