La meute de tourments recula d'un pas, indécise. L'effraie avait frappé. Son sablier, brisé, était vide.
Pourtant, Yuno se relevait. Elle aurait dû rester au sol, laisser le pelage du Froid la couvrir pour l'engloutir, mais elle se relevait sur ses trois membres lacérés.
Comme s'il n'avait toujours été question que de détermination. Les bêtes métaphoriques se jetèrent des regards hébétés, ne sachant si elles devaient poursuivre leurs assauts.L'ibis se décida. Ses quatre longues pattes filiformes se plantèrent devant la marcheuse, pas encore tout à fait remise. Ses ailes se déployèrent en une envergure implacable, barrant la route de sa proie et augmentant sa stature. Ses yeux, enfin, se plantèrent dans ceux de Yuno en un face à face glaçant. Le poison de l'hippogriffe s'éveilla dans les veines gelées de la paria.
Pourtant, Yuno fit un pas en avant. Elle devait traîner sa botte déchirée à travers un sillon de neige presque glacée, souffrir le Froid, le poison, le Sommeil qui n'avait pas relâché son étreinte, mais elle accomplit un premier pas en avant. Puis un second.
Décimètre après décimètre, elle s'avança vers l'ibis, qui la dévisageait d'un air moqueur.Quand il fut à portée de ses faibles forces, Yuno saisit le long cou de l'oiseau.
« Je n'ai pas peur de toi, lui glissa-t-elle faiblement en attirant le visage aviaire à côté du sien. Tu es l'Angoisse, et ton poison coule dans mes veines et me glace presque autant que le Froid. Mais même ainsi, tu ne m'arrêteras pas. Tu peux m'en injecter davantage, me faire croire que jamais je n'aurais mes réponses et que je serai morte pour rien.
Mais cela ne m'empêchera pas d'avancer, Angoisse. Car si je succombe à ton poison, tu auras gagné. Et je ne peux me le permettre. »L'hippogriffe déglutit sa salive venimeuse le long de son long cou. L'Angoisse semblait goûter à son propre poison. Yuno relâcha la créature, qui fit demi-tour et galopa aussitôt dans les landes sans clarté de la Nuit pour s'y perdre.
Le serpent tentateur qui serrait la paria dans son étreinte la félicita, non sans cesser ses soporifiques caresses.
De son seul bras, Yuno saisit la gueule du serpent pour le faire taire.
« Je ne répondrai pas à ton appel, Sommeil. Je sais que tu ne veux que mon bien, mais je ne m'offrirai à toi qu'après avoir obtenu mes réponses. D'ici-là, tiens-toi tranquille et fiche-moi la paix. »Le Sommeil, bien que vexé, se laissa tout de même choir le long des épaules de la marcheuse, et tomber dans la neige. Il s'enroula sur lui-même en un paquet de nœuds d'où jaillissaient ses bras sinueux et son crâne reptilien.
Yuno se tourna ensuite vers le solifuge, qui semblait redouter sa confrontation avec la marcheuse. Sa dizaine de pattes se recroquevillait, et l'éclat de la terreur scintillait dans ses yeux. La paria s'accroupit devant le monstrueux arthropode, et posa sa main sur le front parsemé de fourrure nivale du cauchemar.
« Je sais que tu existes, Solitude. Je sais que tu es là, et ta morsure m'étreint à chaque fois que je pense à Sofi et Rebecca, que j'ai laissé là-bas. Je me sais seule. Et oui, je pense souvent à les rejoindre. Mais il n'y a pas de retour possible, et tu le sais comme moi. Tu es seule à mes côtés, Solitude. Mais tu n'as pas à être un fardeau aussi lourd. »L'arachnide sembla hocher ce qui lui servait de tête, marquant sa compréhension. À peine Yuno eut-elle ôté sa main de son front que le monstre creusait frénétiquement de ses ignobles pattes pour s'enfouir dans le sol et disparaître de la surface de l'Exode.
Il ne restait que la créature dodue et dodelinante, fusion improbable entre un crapaud et un tarsier. Il s'enfuyait déjà en rampant misérablement, mais Yuno se put se sentir complète sans dire ses quatre vérités au quatrième tourment.
Elle l'attrapa par le col, lui arrachant un cri guttural, et le fit pivoter vers elle.
« Tu n'as pas lieu d'être, Culpabilité. J'ai fais ce qui était juste, ce que je devais faire. Le reste ne dépend pas de moi ; je n'ai pas à m'en vouloir. Tu m'entends, démon ? Je n'ai pas à m'en vouloir !
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L'Exode Blanc
Fantastik« Régie par la louve cruelle qu'est le Froid, La nuit impose à tous un silence de velours. Sous l'Égide de l'Œil marchent sans fin ses proies, Intouchables en Nadir, comme dans tout le jour. Les couleurs sont absentes, et l'horizon un but Que le do...