8. Sifals

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D'abord, Rebecca fut impressionnée par la présence d'un groupe de marche aussi nombreux. Pour sûr, il représentait moins d'un dixième du Chant du Nadir, mais pour la chanteuse qui pensait son groupe seul, ce fut quelque chose.
Ensuite, elle reconnut bien vite les membres de cette tribu Sifale : huit membres voûtés portant une tête molle aux pupilles rectangulaires, de telles créatures ne s'oubliaient pas. Même sorties de ce qu'elle avait cru n'être qu'un cauchemar.

Si certaines de ces pieuvres avançaient les tentacules courbés et l'occiput presque au ras du sol, d'autres préféraient marcher les membres droits, et la tête juchée ainsi en hauteur. Il y eut un vif mouvement de recul de ces deuxièmes types à l'arrivée du trio de marcheurs mal en point, tandis que les premiers ne les remarquèrent même pas.

« Un médecin ! » quémanda Sofi à l'attention des poulpes dédaigneux.
Il sembla à Rebecca que certains s'enfonçaient dans le groupe pour aller chercher un soigneur, mais ils auraient tout aussi bien pu s'éloigner pour simplement éviter la proximité des marcheuses qu'elle n'aurait pas fait la différence.

Ils étaient rares à baisser le regard vers elles. De simples lancers de leurs yeux étranges et dérangeants, rapides mais loin d'être discrets, dévisageaient par à-coups les intruses qui s'époumonaient à chercher de l'aide pour leur amie.
Les têtes de ceux qui marchaient "debout" dépassaient celles des marcheuses d'un bon demi-mètre. Une sorte de fourrure duveteuse enveloppait certains de leur crânes flasques, sans qu'on ne puisse réellement savoir si elle poussait sur ceux-ci ou s'il s'agissait de vêtements pour survivre aux crocs du Froid. Les rares grosses lunettes à verres ronds de quelques uns renforçaient leur aspect fort monstre, déjà instauré par les longs tentacules habillés de manches en bandages ou de tissus sanglés autour de ces membres mous.

Enfin, l'un d'entre eux traversa à contresens la foule peu dense pour faire face aux marcheuses.

« Vous êtes dans le bon-jour, sapiens. Je suis médecin.
Le fait que la bouche du poulpe ne soit pas visible, puisque caché entre les tentacules, s'ajoutait au dérangement général qu'inspirait ce peuple. La voix étonnamment douce et chantante du médecin semblait jaillir de nulle part. Comme si le céphalopode était ventriloque.

— Soleil, mille fois merci ! s'exclama Sofi. C'est notre amie, désigna-t-elle. Nous avons croisé des enfants du Froid, et... cela s'est mal passé.

Le docteur ausculta rapidement le corps figé de Yuno. D'un grand sac, accroché dans le dos inexistant de l'être, il sortit trois embouts et les enfila aux appendices qui allaient opérer.

— Elle vivra, indiqua-t-il après un long silence immobile. Rebecca en fut grandement soulagée, et à en juger de l'expiration que relâcha Sofi, elle ne fut pas la seule.

— Remettez-vous en mouvement, ceci-dit. J'opèrerai en marche, mais nous sommes déjà bien proche du Froid, et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps. Je n'ai pas l'habitude de pratiquer sur des sapiens, mais je ferai de mon mieux.

Elles obéirent, attachées à l'espoir de sauver la blessée. La chanteuse examinait chaque petite manière, chaque motif dessiné sur les habillages de ces si énigmatiques Sifals. Sofi semblait déjà connaître les membres de ce peuple, mais jamais aucun n'était paru auprès du Chant du Nadir. Des marcheurs aussi... différents, physiquement parlant, mais aussi dans le peu qu'elle imaginait de leur culture, tout cela l'intriguait au plus haut point.
Ignorait-elle tant de choses au sujet de l'Exode ? Le Chant manquait-il à ce point de connaissances ?

« Excusez-moi, l'appela Rebecca.
Il tourna un moment son étrange regard vers elle, semblant lui accorder le droit de poursuivre. Ses tentacules tâtaient le moignon congelé, et grattaient méticuleusement les couches de givre.

L'Exode BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant