Rebecca ouvrit les yeux, puis les referma aussitôt. Une bien trop vive lumière frappait encore contre ses paupières.
Elle les battit frénétiquement, jusqu'à enfin s'habituer à la clarté ambiante, puis tenta à nouveau de distinguer ce qui l'entourait.
Encore une fois, l'absence totale du Chant la fit paniquer quelque peu, et les deux silhouettes assises non loin n'arrangèrent pas la situation. Elle eut à peine le temps de les dévisager que, par réflexe, elle subit un brusque mouvement de recul.« Qui êtes-vous ? lança-t-elle aux deux femmes qui avaient cessé leur discussion autour du feu.
Rebecca crut entendre l'une d'elles répondre à mi-mot, dédaigneusement, mais l'autre détourna son attention en s'énonçant plus clairement.— Nous t'avons retrouvée à moitié morte sur ces landes. Moi, c'est Yuno, et elle c'est Sofi, désigna-t-elle sa camarade qui évitait tout regard.
— Vous... vous ne venez pas du Chant du Nadir ? demanda la soignée incrédule, négligeant toute politesse envers ses hôtes.
Yuno voulut répondre, mais sa compagne prit les devants et la parole, sans même daigner tourner le regard vers Rebecca.— Alors d'une part, de rien pour t'avoir secourue alors que t'allais être pâture du Froid. D'une autre, oui, il y a d'autres marcheurs que les Chanteurs. Je suis navrée de devoir te l'apprendre mais Soleil n'avance pas que pour vous ! C'est quand même incroyable ! s'offusqua-t-elle en se tournant vers Yuno. Ça fait que chanter et ça s'imagine seul dans tout l'Exode... Tu penses qu'ils se croient uniques ?
Son amie laissa un temps pour que la tension puisse retomber. Elle ne reprit qu'après le calme instauré.
— Non, nous ne sommes pas du Chant. On marche en solitaire, en quelque sorte.Un pesant silence s'installa.
— Ce serait tout de même beaucoup plus simple si on pouvait t'appeler par ton nom, manifesta Yuno en s'efforçant de garder la face et sa politesse.— Oui, je... je m'appelle Rebecca, se présenta la femme secourue, dont le réveil n'était visiblement pas complet.
— C'est un joli nom. Rebecca, si tu le souhaites, nous allons t'accompagner jusqu'au Nadir pour que tu retrouves les tiens.
— Et ne va pas espérer que l'on fasse quoi que ce soit de plus pour toi, indiqua sèchement Sofi, toujours de dos. Nous ne te devons rien, nous. »
Sur ces mots, elle se leva et fit signe aux deux autres de l'imiter. Après tout, la route était déjà bien assez longue et Soleil ne s'arrêterait pas pour elles. Au loin, de colossales ruines se dressaient entre elles et le Nadir, et l'ombre de leurs tours plongeait le chemin qu'elles allaient devoir emprunter dans une obscurité proche de la nuit. Les distances et les tailles dépassaient de très loin la ridicule échelle humaine, aussi leur fut-il difficile de se représenter le temps qu'il leur restait avant de quitter l'égide du jour.
Les premiers temps furent très silencieux, aucune n'osant prendre la parole. Sofi, en tête, se contentait de fixer la suite de leur voyage. D'ordinaire, c'était l'horizon d'où étaient censées jaillir un jour les couleurs, mais les gigantesques citadelles impérieuses en étaient de dignes successeurs. Yuno, au centre de leur groupe, jetait quant à elle de rapides coups de ses grands yeux curieux vers Rebecca, qui marchait donc en fin de file. Elle se contentait de fixer le sol, sa main droite dans sa sacoche, et marmonnant l'hymne du Nadir pour elle-même.
Alors qu'elle entamait sans doute sa vingtième reprise, sa voix se fit trop forte et parvint jusqu'à Sofi. Cette dernière tiqua, et fit immédiatement volte-face pour se planter droit devant la Chanteuse. C'était du moins son intention, mais son amie empêcha le face à face direct en s'interposant.
« Il est hors de question qu'elle continue à chanter son Hymne de décérébrés ! hurla la marcheuse en colère, retenue par Yuno. Si elle veut déblatérer ses inepties dogmatiques, elle le fait loin de moi !Cette manière de se plaindre indirectement, comme si le fait de s'adresser à son amie rendait ses mots moins blessants, attisa la colère de Rebecca. Elle répondit pourtant le plus calmement possible, consciente qu'un affront serait néfaste.
— Ce ne sont pas des inepties, je chante l'espoir et la détermination. Le Chant rappelle que nous ne marchons pas pour rien, que nous ne sommes pas seuls dans notre Exode, et surtout que nous avons un but à atteindre, une raison de marcher.
Sofi abaissa son regard vers celui de la Chanteuse. Elle ne devait sans doute pas s'attendre à ce qu'on lui réponde, et encore moins en personne.
— D'accord, admit-elle ironiquement. "L'horizon est bien trop loin devant", ça doit être l'espoir, "le Froid avale ceux qui sont trop lents" c'est sans doute la détermination et l'union entre les Chanteurs, et quel but à atteindre ? Quelle raison de vivre ?Rebecca mit un temps avant de comprendre que Sofi, que son amie tentait d'apaiser par des regards inquiets et des mouvements de mains, attendait une réponse à sa question.
— Notre raison de marcher ? La promesse des Couleurs, bien sûr.— D'accord. Et le refrain ? "Tout est Blanc" ? C'est quoi, ça, Blanc ?
— Le... le mot est ancien, mais il me semble que cela signifie "absence de Couleur", ou alors "couvert par la neige". Sous-entendu par le Froid, donc.
— Et donc c'est ça ton espoir et ta volonté ? Un monde sans couleur et couvert par le Froid ?
— C'est notre monde actuel. Mais ce sont surtout les épreuves que nous devons vaincre pour atteindre la promesse des Couleurs.
— Ta Terre Promise ressemble beaucoup à la mort comme récompense finale... Cette religion est stupide ! blasphéma-t-elle en levant les yeux et les bras au haut-ciel.
— Sofi ! s'offusqua Yuno, outrée. Là, tu vas trop loin !
— Quoi ? aboya la concernée, sur la défensive.
Rebecca hésita entre surenchérir et laisser tomber, le temps que le sang chaud se refroidisse. Elle finit par empoigner son courage et répondre.
— C'est ma religion, c'est ce que je choisis de croire.Sofi adopta alors un regard amusé, comme si la Chanteuse passait d'une endoctrinée sans cervelle à un jouet qu'elle pouvait tordre dans tous les sens.
— C'est vraiment ce que tu as choisi, ou ce que le Chant t'a inculqué au point de te faire croire que c'était ton choix ? »
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L'Exode Blanc
Fantastik« Régie par la louve cruelle qu'est le Froid, La nuit impose à tous un silence de velours. Sous l'Égide de l'Œil marchent sans fin ses proies, Intouchables en Nadir, comme dans tout le jour. Les couleurs sont absentes, et l'horizon un but Que le do...