Chapitre 4

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Le véhicule s'arrête dans un crissement de pneus discret, aux abords du domaine. D'après ce que je vois, nous nous trouvons à l'extérieur d'anciennes écuries reconverties en garage spacieux. Bien que les larges portes de ces dernières soient ouvertes, Eleuia n'a pas pris la peine d'y entrer, préférant se garer dans le sens de la marche, comme pour pouvoir repartir plus vite très bientôt. Perspective qui libère une vague de stress malvenue dans mon organisme. Je dois faire un véritable effort pour ne pas hyper ventiler bêtement dans le froid nocturne.

Les portières claquent lorsque nous sortons de l'habitacle et des volutes de buée blanchâtres montent dans le ciel à chacune de nos expirations. Stupéfait, je tourne plusieurs fois sur moi-même afin d'inspecter les alentours. Je ne vois pas grand-chose au-delà de cinq mètres de distance avec le manque de luminosité, mais je devine de grands champs ainsi que diverses bâtisses appartenant sans doute à cette propriété.

— Où... où sommes-nous ? interrogé-je faiblement.

— Toujours dans le comté du King, mais à une centaine de kilomètres de Renton, m'informe Conrad, resté de l'autre côté du break. C'est un coin assez reculé, suffisamment éloigné des plus curieux, sans pour autant être coupé du monde moderne grâce à la 90 qui passe un peu plus au nord... Ici, nous sommes à l'arrière du bâtiment principal. Le manoir et ses dépendances secondaires occupent deux hectares de la propriété à eux seuls. Je te laisse imaginer l'étendue totale...

Fier de m'avoir impressionné, Conrad sourit de toutes ses dents puis s'avance vers moi. Il se stoppe à un mètre – suis-je obligé de noter – et m'offre de le suivre jusqu'à l'avant du manoir, là où nous attendent « les autres ».

Incapable de m'en empêcher, je m'assure de la présence d'Eleuia dans mon dos et suis soulagé de l'y trouver, bien qu'elle n'ait toujours pas ouvert la bouche. Nous suivons donc la silhouette sombre de Conrad, longeons les murs imposants du bâtiment, pour finir par retrouver les lumières projetées par les larges et hautes fenêtres. Le perron en pierre brute est ainsi illuminé, tout comme une partie de la façade. Massif et cossu, je n'en saurais dater l'architecture tant le manoir paraît ancien et pourtant bien conservé. À mon avis, il s'apparente davantage à un château qu'à un « simple » manoir. Et bien qu'il semble outrageusement grand et riche, je pressens qu'il s'insère très bien dans le panorama environnant.

Une construction sublime dans une nature sublime. Et quelque chose me dit que je ne dois pas être encore au bout de mes surprises.

Nous franchissons le seuil, moi avec prudence, les autres avec assurance en pivotant déjà sur la droite pour s'engouffrer dans un long corridor. Je leur emboîte le pas après un temps. Mes yeux vagabondent de ci de là, attirés par l'encadrement ouvragé des portes qui jalonnent le couloir, les renfoncements de pierres dans les murs bruts et froids, les torchères et autres candélabres peaufinés aux détails près et éclatants de richesses nobles. Je ne suis pas incollable en Histoire, mais il me semble que certaines pièces rappellent les codes de la Renaissance, d'autres du Moyen-Âge. Le mélange des matériaux et des tons est éclectique, surprenant même par moments... mais très agréable et chaleureux à regarder.

Mes compagnons, eux, en véritables habitués des lieux, ne s'arrêtent pas sur les quelques peintures exposées sur les murs, ou encore sur les tentures ocres et bordeaux camouflant certaines ouvertures. Leurs pas francs et sûrs ne ralentissent pas devant les collections d'armes et de protections présentes dans des vitrines ou accrochées aux cloisons. L'écho de leur démarche ricoche sur les parois plus lointaines de la bâtisse, et me fait enfin réaliser une chose qui m'avait échappée jusqu'à présent : nous sommes seuls. Personne n'a pointé le bout de son nez depuis que nous avons émergé de la voiture.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant