Chapitre 32

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— Tu es sérieux ?

— Chut. Pas si fort, Sander, s'il te plaît.

— Ça s'est vraiment produit ? crie encore mon ami, en faisant fi de mon avertissement. Eleuia et toi, vous avez vraiment...

— Sander !

Je regarde tout autour de moi, scanne les coins heureusement vides de toute présence de la terrasse. Une aubaine miraculeuse, car depuis quelques temps, le manoir est de plus en plus investi par de multiples hôtes et amis de Necahual. Il devient difficile de trouver un endroit reculé, où la discrétion peut régner en toute quiétude.

Je suis des yeux le mouvement d'ombres en contre-bas, dans la cour et le jardin, puis reporte mon regard agacé sur mon ami.

— Arrête de crier, bon sang. Déjà qu'à voix normale, les autres sont susceptibles de nous entendre..., grincé-je, lèvres pincées.

Sander peine à me croire et continue son cirque. Il avance même l'idée que j'ai pu rêver ce qui s'est passé cette nuit. J'essaie de le convaincre du contraire, sa profonde surprise est à deux doigts de me vexer.

— Admets que j'ai de quoi m'interroger tout de même ! Eleuia s'est battue bec et ongles contre votre lien. Et hier, elle semblait vraiment remontée contre toi : elle donnait plus l'impression de souhaiter t'écorcher vif que de te sauter dessus.

Je lâche un rire bref, amusé par sa comparaison, même si dans le fond, je comprends sa surprise. Moi-même j'ai encore du mal à le croire...

— C'est un sacré virage à cent quatre-vingt degrés !

Je souris encore, quelques bribes d'images lascives plein la tête alors qu'il évoque ce fameux virage. Dans notre cas, le concept des montagnes russes serait peut-être plus adapté : entre extase et saisissement, nous gravissons les lentes montées d'endorphines, et nous euphorisons dans les descentes plus vertigineuses encore.

Mon expression sans doute un peu toquée chasse l'étonnement et le scepticisme relatif de mon compagnon et lui tire un large rictus. Il se penche sur moi, et son énorme cuisse bute sur mon genou.

— Alors maintenant elle et toi, vous êtes... ? souffle-t-il, le regard pétillant.

Sander laisse volontairement sa phrase en suspens, dans l'attente que je lui confirme ce qu'il sous-entend à demi-mots : que nous sommes ensemble, un couple... Mon sourire se fane et mon regard fuit celui troublé de mon ami. Un silence lourd de sens s'abat entre nous. Silence durant lequel je tente de faire refluer l'horrible sensation de déchirure qui menace de rouvrir les points sommaires et grossiers empêchant ma poitrine de devenir un gouffre béant... Tout ça en veillant à ne pas l'inscrire en lettres de feu sur mon front, à la vue de mon guide. Je ne supporterai pas sa pitié.

— Allan ?

— Quoi ? fais-je sur un ton que j'espère aussi posé que possible.

— Tu es sûr de ce que tu fais ? me lance le géant, ses traits marqués par l'inquiétude et l'incrédulité.

Avec une inspiration, je reporte mon regard dans le fond de ses prunelles claires. Je ne dois plus plier. La question de mon ami m'a pris au dépourvu, mais l'effet de surprise est passé à présent. Je sais ce que je dois dire et comment le dire. Paraître aussi confiant qu'avec Eleuia. Parce qu'il est impératif que mes mensonges prennent aussi avec Sander.

— Oui, bien sûr. Pourquoi ne le serais-je pas ? répliqué-je donc en allant jusqu'à basculer ma tête sur le côté, l'air faussement interrogateur.

— Tu es sérieusement en train de me dire que toi et Eleuia n'entretenez qu'une relation... basée sur le sexe ? s'emporte-t-il presque, de plus en plus ébranlé.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant