Épilogue

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— Ele ? Ele, tu m'entends ? m'appelle vivement une voix inquiète.

Je ne peux pas répondre, je suis bien trop occupée à tenter de ravaler mes cris de douleur.

— Accroche-toi, Eleuia. On ne va plus tarder à arriver.

Recroquevillée sur la banquette arrière d'une voiture, je capte les paroles à la fois rassurantes et angoissées de mes amis, mais ne surenchéris pas à ces dernières. Les bras tantôt pressés sur mon ventre, tantôt enserrés sur ma tête, je ferme les paupières sous les assauts répétés de cette douleur inqualifiable. Elle tord mes entrailles, incendie mon crâne, fait vibrer tout mon être d'un supplice que je ne peux pas contrôler... pour la simple et bonne raison que je n'en suis pas la cible principale. Seulement le dommage collatéral.

Allan.

— Ele ? Serre ma main si ça peut t'aider, me somme Gillian en plaçant ses doigts froids entre les miens brûlants.

Je ne résiste pas à cette invite et broie en quelques secondes ses phalanges. La sorcière ne bronche pas, mais si j'avais un aperçu de son visage, je le verrais grimaçant et contracté.

— Sander, accélère encore, réclame-t-elle à notre conducteur.

Et le moteur vrombit plus fort lorsque ce dernier s'exécute sans attendre. Quelques kilomètres supplémentaires sont avalés avant que je parvienne à rouvrir les yeux et à prendre une profonde inspiration pour calmer mes nerfs et muscles mis à rude épreuve. Le tsunami de souffrance ne déferle plus en masse sur moi, ce qui veut dire qu'il ne doit plus infliger les mêmes sévices à Allan. Toutefois, au fond de moi, je ne suis pas dupe : il ne s'agit là que d'une accalmie... Quand et comment la torture va reprendre, je ne sais pas, mais elle reprendra, c'est une certitude. Ils n'en ont pas fini avec lui.

Oh, Allan...

— Ele, tu m'entends ? m'interroge à nouveau ma meilleure amie. Ça va ? Tu tiens le coup ?

Je coasse d'une voix râpeuse en réponse, désireuse de comprendre comment ils ont fait pour arriver aussi vite. Ils n'étaient pas avec nous lors de la mission. Ils étaient censés être au manoir, c'est là que nous nous sommes quittés. En quelques phrases concises, Sander m'explique qu'ils ont rejoint le groupe de Fred après notre départ. Et qu'à l'instant où la situation a dégénéré, Milton leur a envoyé un S.O.S pour les avertir. Ils sont arrivés peu de temps après.

— Tu ne t'en souviens pas ?

— Comment ça ? balbutié-je, surprise.

— Tu... Lorsque l'on est arrivés sur les lieux, tu étais dans une rage folle. Tu avais déjà tué une dizaine d'assaillants et tu étais – tu es toujours d'ailleurs – couverte de sang. Tu les as écharpés, Eleuia.

Le sang et les cris me reviennent en mémoire avec le bref exposé du berserker. Tout n'était que rouge sang, rouge fureur, autour et en moi, une fois que j'ai remarqué la disparition d'Allan.

Je me redresse sur mon siège tout en écoutant la voix grave du conducteur qui me relate mes méfaits et tortures à l'encontre d'un des sbires rescapés de Jarlath. C'est ainsi que j'apprends que je suis parvenue à lui extorquer l'endroit exact où Jarlath comptait accueillir Allan.

Mon cœur frappe à coups redoublés dans ma cage thoracique. Le soulagement m'envahit. J'ai réussi, j'ai au moins fait ça de bien. Une partie du poids imposant qui croule sur mes épaules s'envole. Puis mon regard se fixe dans celui brillant de Sander avant qu'il décrispe les lèvres pour continuer.

— Tu l'as dépecé, morceau après morceau. Il n'avait même plus ses yeux pour pleurer sur la fin !

Cette fois, je m'en souviens nettement. Je me souviens de la tête maculée d'hémoglobine de ma victime ; je me souviens aussi de ses hurlements de douleur avant qu'il finisse par me dire ce que je voulais entendre... et il m'a fallu vingt précieuses minutes pour cela. La seule chose que je regrette, c'est qu'il n'ait pas craqué plus tôt.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant