Chapitre 21

273 52 61
                                    



Les yeux écarquillés, je me tourne vers mes compères muets et déchiffre leurs expressions. Gillian a le visage livide : il est évident que cette éventualité ne l'avait jamais frappée. Elle tombe des nues. Sander, lui, fronce intensément les sourcils, risquant ainsi de creuser des rides prématurées sur sa face. Il semble perturbé et préoccupé, mais je ne pense pas que lui aussi avait envisagé cette idée auparavant.

Enfin, je cherche le regard sombre d'Eleuia, la plus éloignée de moi, et ce que j'y lis ne me surprend qu'à moitié. L'hybride y avait déjà pensé, à tel point qu'elle a analysé et décortiqué cette possibilité depuis un bon moment déjà. Elle en a eu peur, elle a même été effrayée en imaginant qu'elle se réalise un jour. J'entrevois tout cela dans ses prunelles qu'elle n'a pas détournées des miennes ; la belle brune m'y autorise l'accès et me laisse deviner toute l'inquiétude qu'elle a ressentie alors.

— Je constate que tout le monde n'était pas arrivé au même point dans ses réflexions personnelles..., reprend la voix pernicieuse de la sirène.

— Fermez-la, s'agace la vampire, avec un regard mortel dans sa direction.

La bouche d'Amada se rehausse, l'air satisfaite d'avoir réussi à faire perdre un instant le sang-froid légendaire de ma comparse.

La seconde d'après, nous sommes interrompus par de légers coups portés à la porte derrière nous.

— Entrez ! s'exclame sèchement la PDG.

Le battant s'ouvre ensuite sur une autre jeune femme en tailleur et veste cintrée.

— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous interrompre, déclare-t-elle avec un regard d'excuse à notre intention. Je voudrais obtenir le...

— Il se trouve dans ce meuble-ci, dans le tiroir du bas, la coupe la sirène avec un geste de la main pour le mobilier susnommé. Et dites à Phil que j'aurai vingt minutes de retard et à Liane d'arrêter de vous envoyer à sa place faire son travail, sous prétexte qu'elle trouve mes manières intransigeantes et froides.

L'employée la dévisage avec froideur, raide sur ses jambes. Ses épaules aussi se contractent, mais elle finit par hocher la tête avant de récupérer ce qu'elle était venue chercher à la base. Au moment où le battant se referme dans son dos, nous scrutons férocement la patronne des lieux.

— La discrétion ne semble pas faire partie de vos qualités, Mademoiselle Lynch, l'accable la sorcière en premier, son regard d'une couleur verte plus foncée qu'à l'ordinaire. Je vous signale que c'était une humaine ! Ce ne sont pas là des façons de faire avec eux si vous voulez préserver votre anonymat.

— Et le secret de notre existence à tous, surenchérit Sander, les bras croisés de contrariété sur son torse musculeux.

— Tous mes employés, qu'ils soient humains ou surnaturels, me trouvent extravagante et trop effrayante pour oser me dire en face ce qui les gêne ou pour me faire des reproches, se justifie la femme distante face à nous. Aucun d'eux n'ira jamais se plaindre de moi ou raconter mes « bizarreries » à qui que ce soit. Les surnaturels surtout ont bien trop peur de me voir divulguer leurs plus infâmes secrets en guise de représailles.

Un rire grinçant lui échappe à cette perspective.

— Bon, maintenant que je vous ai « rassurés » sur mon sens de la prudence, nous pourrions poursuivre notre conversation, non ? glisse notre hôte, un sourcil goguenard redressé.

Sander et Gillian se renfrognent, détestant de plus en plus l'attitude décalée d'Amada. Eleuia, elle, ne pipe plus mot, hors d'elle. Il ne reste donc plus que moi pour interagir avec cette créature si éloignée de ma conception des sirènes.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant