Chapitre 40

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« Non. »

C'est là le seul mot qui résonne sans discontinuité sous le crâne de la guerrière. Une litanie de « Non » improbable, un peu déroutant même, car elle n'est accompagnée de rien d'autre pour m'aiguiller sur son sens.

Non à quoi au juste ? À mon ultimatum ? À ma première proposition ? À la seconde ? Je ne sais pas, et l'incohérence tant mentale que verbale d'Eleuia ne me met sur aucune piste solide.

— Allan... Je...

Elle ouvre puis referme la bouche comme un poisson sorti de l'eau, sans jamais réussir à prononcer plus de deux ou trois syllabes. L'air choqué, ma liée ne s'attendait pas à ce que les choses prennent cette tournure.

Il existe une partie de moi qui, devant son attitude, rêverait de rire aux éclats. Parce que comment aurait-il pu en être autrement ? Comment peut-elle croire que ça n'allait pas déraper ?

Parfaitement inconcevable. Et pourtant...

Eleuia s'humecte nerveusement les lèvres, trois fois, puis laisse son regard agité se perdre de droite à gauche avant de revenir sur moi. Le retour de son affolement est accompagné d'une pointe de désespoir qui m'aurait occasionné un pincement au cœur, si ce dernier n'avait pas été brisé et n'avait pas transmuté en abomination rude et colérique.

— Je suis désolée, vraiment désolée... Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, souffle la jeune femme. Je...

Elle serre les paupières, les rouvre et plonge un regard brûlant dans le mien.

— Ça n'est pas une réponse, dis-je en refermant plus fort mes mains tremblantes en poings. Et j'en exige une nette et précise cette fois, Eleuia.

Il y a quelques temps de cela, elle se serait montrée revêche et n'aurait pas souffert ni mon ton sec et exigeant, ni de devoir me rendre des comptes. Mais il n'y a rien de combattif en Eleuia aujourd'hui : elle se sent prise au piège et elle panique.

Ça me rend fou, me donne envie de tout casser autour de moi.

Elle n'assume pas, ne s'assume pas, ne nous assume pas ! Encore et toujours !

Ma douleur est engloutie par ma rage ; ça me dégoûte de voir autant de couardise chez une femme aussi brave à l'accoutumée. Toute cette situation loufoque m'écœure et me fait vriller. Et elle continue de me saborder alors même qu'Eleuia me scrute et appréhende, aussi perdue qu'un animal sans défense.

Nous luttons, nous nous affrontons alors que l'un comme l'autre, nous sommes persuadés de ne pas disposer d'armes suffisantes pour mener cette ultime bataille. Elle, parée de son silence et de son désespoir, moi de ma colère et de ma douleur, nous nous observons en chiens de faïence... jusqu'à ce que le cessez-le-feu soit sonné.

Des coups frappés à la vitre avant de la voiture nous détournent de l'autre. Plus réactif que ma liée, j'ouvre carrément la portière arrière et passe la tête à l'extérieur pour voir ce qui se passe. Tristan hausse les sourcils de surprise en me voyant l'accueillir à l'arrière et non à l'avant du véhicule, et se penche un peu pour tenter de voir plus loin derrière mon épaule.

— Qu'est-ce que vous faites là ? nous apostrophe-t-il, sans se départir de son air interloqué.

— Rien, répliqué-je avec tant de force et de froideur que cela inhibe toute tentative de protestation chez lui. Il y a du nouveau ?

Là encore, sa surprise ne m'échappe pas. Tristan marque un temps d'arrêt en m'entendant, moi, poser cette question, alors que je ne suis pas le maître des opérations. J'attends tout de même qu'il me réponde, sans ciller ni même me tourner vers ladite cheffe dans mon dos.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant