Chapitre 18

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Au moment où me vient cette brusque prise de conscience, je capte, du coin de l'œil, la diminution de luminosité dans la pièce. Reprenant contact avec la réalité, je constate que le brasier a diminué en intensité, devenu un petit feu de camp au pied de l'hybride. Je remonte mes prunelles dans son regard, qui semble perplexe.

— Tout va bien ? s'enquiert Eleuia, de l'hésitation dans la voix. Tu semblais... ailleurs.

Je retiens une grimace devant cet euphémisme. Je suis persuadé que la vampire a très bien entendu les battements incoercibles de mon cœur et senti le profond émoi qui m'habitait. Elle n'en comprend peut-être pas pleinement les raisons, mais elle a saisi sans nul doute que ça la concernait. La belle combattante préfère toutefois passer sous silence ses intuitions, même si je parviens à les déchiffrer dans son regard de braise.

Je pousse un léger soupir et tente de regagner une contenance devant elle.

— Ce n'est rien, articulé-je avec gêne. Je... Je ne voulais pas te déconcentrer, excuse-moi.

— Pas grave. On peut faire une pause si tu préfères ?

— Non ! On vient juste de commencer, m'écrié-je en m'ébrouant un peu. Je veux vraiment apprendre avec toi.

Je lui adresse un regard déterminé, très désireux de ne pas mettre fin à notre leçon.

— Je ne serai plus distrait, je te le promets. Montre-moi, murmuré-je en m'approchant doucement.

Son visage n'exprime rien durant de longues secondes, puis elle finit par acquiescer et se positionner devant le feu.

— Je pense que Gillian te l'a déjà dit, mais avec le temps certains gestes et mimiques ne seront plus nécessaires pour commander aux éléments. La visualisation mentale te permettra d'aller plus loin dans tes maniements.

— Oui, c'est ce que je me suis efforcé de faire avec le métal, l'autre jour. C'est extrêmement fatiguant.

— C'est vrai. Ça le sera moins à force de pratique, crois-moi. Il faut que ça devienne aussi naturel que de bander tes muscles, ou que de tenir un crayon. L'effort sera réduit à zéro ainsi.

— C'est ce que tu fais avec le feu ? Tu t'imagines juste l'éteindre ou le déplacer, et c'est ce qui se produit ?

— Ça dépasse même le fait de bander ses muscles. C'est comme respirer ou cligner des yeux dans mon cas, m'informe-t-elle sans me lâcher des yeux.

Derrière elle, l'incendie regagne en vigueur, lèche les meubles sans pour autant les brûler, puis se désintègre petit à petit, jusqu'à redevenir les fines étincelles du début. Leur lumière décline, devient plus supportable, tandis qu'elles retournent une à une dans leur foyer d'origine faite de cire blanche. Nous ne sommes plus qu'en présence de bougies allumées ; le brasier s'est tari.

— Ce que tu as réalisé avec la pièce de métal était très bien, relance la femme, l'air accaparée par la lumière. Mais au-delà de la fatigue, tu as dû te sentir vidé ensuite, je me trompe ?

Je secoue la tête. Effectivement, les heures qui avaient suivi cet exercice m'avaient semblé interminables. J'étais à la limite de m'endormir sur la table de salle à manger, ou de me décrocher la mâchoire toutes les deux minutes.

— C'est à cause du manque d'habitude : plus tu t'y exerceras, plus ça deviendra aisé. Ça ne te coûtera plus autant d'énergie.

— J'ai hâte d'arriver à ce niveau-là, alors, assuré-je avec ferveur, le regard plongé dans les flammes.

Quelques flammèches commencent à vaciller sous mes yeux, mues par la seule volonté de l'hybride à mes côtés. Elles se mettent à clignoter, perdant puis regagnant en intensité au fil des secondes, ce qui me provoque un bref sourire charmé.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant