Chapitre 24

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Les jours enneigés et glacials ont cédé la place à ceux pluvieux digne d'un début de printemps placé sous les pires auspices. La pluie grinçante s'abat sur la bâtisse solide du domaine, plus virulente et acharnée de semaine en semaine. Le vent qui l'accompagne érafle les arbres alentour, leur font perdre leurs précieuses branches et feuilles, indispensables pourtant pour le renouveau de cette nouvelle année.

La terre fertile faiblit face à l'air courroucé, l'eau triomphe sur la chaleur du soleil... Et aujourd'hui, j'ai décidé de contribuer à ce déchaînement de la Nature.

Le déluge qui sévit abat ses trombes d'eau sur moi, alors que je me tiens dehors, au beau milieu des champs entourant le domaine. Nez levé vers les cieux enragés, j'observe la menace noire qui réside au-dessus de ma tête. Tout n'est plus que ténèbres et grisaille partout. Le vent fouette mon visage trempé, cinglant, et emporte tout ce qui est à sa portée dans son sillage.

— Allan !

Je suis étonné de réussir à entendre ce cri au milieu de cette agitation. L'averse est si forte, j'aurais cru que rien n'aurait pu venir troubler cette pluie torrentielle... Mais c'était sans compter sur la voix tonitruante de Sander.

— Allan !

Il est à un petit kilomètre de moi. Il ne lui faudra qu'une poignée de secondes pour me rejoindre, même si le temps est hautement mauvais et dangereux.

Je reporte toute mon attention sur les nuages oppressants qui me surplombent et les analyse, concentré. Tranquillement, ma main droite s'élève au niveau de mon poitrail tandis que mes paupières s'abaissent. Je prends une courte inspiration et visualise par la pensée le ciel entravé, l'eau sévère, les bourrasques sifflantes...

Mes doigts bougent, font tourner mon poignet plusieurs fois sur lui-même, et le résultat ne se fait pas attendre plus longtemps. Comme pour imiter mon mouvement souple, quelques nuages tourbillonnent sur eux-mêmes, grossissent encore et créent un vortex en leur sein. La vitesse de ma paume accélère à l'instar de la tempête. Des éclairs éclatent dans le ciel, le tonnerre gronde et vrombit dans l'air saturé d'électricité... et une tornade aux teintes de l'enfer prend racine dans les terres malmenées devant moi.

Le vent nourrit ce tourbillon et le pousse à avancer dans la direction que je lui indique. Mon contrôle est entier et dévoué à la tourmente que je répands, du ciel à la terre. L'averse redouble d'intensité, le souffle de l'air devient ouragan et l'orage fait trembler les champs.

— Allan !

Cette fois, mon guide m'a rejoint et s'arrête brutalement à mon côté. Son regard azuré s'écarquille devant le spectacle infernal qui se joue, puis ses mains agrippent mes épaules.

— Allan ! Qu'est-ce qui te prend ? hurle-t-il par-dessus l'écho sinistre de la tornade. Arrête ça !

Je réfléchis à ses propos sans lâcher mon emprise sur les éléments. Ce que je fais ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne le sais plus depuis des jours déjà. Depuis qu'Eleuia m'a abandonné une nouvelle fois.

— S'il te plaît, Allan, arrête ça et parlons !

Pour dire quoi de plus ? À quoi rimerait une nouvelle discussion sur l'attitude de cette femme ?

Huit jours. Cela fait huit jours qu'elle s'est éclipsée en me laissant comme un minable, seul et le cœur brisé dans les souterrains. Et en huit jours, ce que j'ai à dire sur ce qui s'est passé n'a pas changé : Eleuia a refusé de m'embrasser. Eleuia m'a fui. Eleuia ne veut pas de moi.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant