Chapitre Quatorze.

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« Les êtres humains ont ce curieux penchant qui consiste à se réconcilier autour de ce qu'ils ont brisé. » Serge Bouchard.


***


Louis.


Ça fait trois putains de nuits que je fais canapé.
Ça fait trois putains de nuits que je ne dors quasiment pas.
Ça fait trois putains de jours que j'ai un mal de dos atroce.
Ça fait trois putains de jours qu'Alex ne m'a pas adressé la parole.


C'est pour ces raisons que je suis actuellement en train de somnoler sans discrétion aucune dans la salle de conférence au lieu d'écouter le détail du compte rendu de l'équipe.
_ ... donc pas assez d'angles pour faire une recherche faciale, à l'air d'indiquer Styles en promenant son regard sur l'ensemble de la pièce. De plus, il semble totalement inconnu des services de police du pays si on s'en tient à la description du portrait robot.
Ses yeux verts se bloquent sur les miens et je fais un effort surhumain pour tenter en vain de les garder ouverts : c'est peine perdue, mes paupières se ferment toutes seules.
_Je vais lancer une recherche sur les serveurs européens, annonce alors Jon en me faisant sursauter.
_Très bien. Tomlinson, je peux te voir une minute ?


Eh merde. Putain. Je savais que ça allait être ma fête au moment où ses iris émeraude se sont aimantés aux miens.


Il fait chier Alex.


Je me redresse le plus naturellement possible et tente de paraitre détendu lorsque je le suis en dehors de la salle ; mais la vérité ? Je me pisse dessus.
Je n'ai jamais vu Styles en colère et pour être totalement honnête, je ne suis pas sûr d'avoir très envie d'en tenter l'expérience moi-même au final. Il est très bien quand il est gentil et un peu taquin.
_Louis ? il m'appelle au moment où je m'adosse contre le mur de crépis à ma droite.
Je suis incapable d'aller plus loin en me servant de mes deux jambes et prie pour que la remontrance ne soit pas trop brutale. Mais à ma plus grande surprise, il n'a pas l'air fâché ni contrarié ; il a juste l'air inquiet.
Et c'est cette pointe d'anxiété qui me pousse à soulever son regard.
_Louis ? il répète. Tu vas bien ?
_Hm.
C'est le seul son que je suis capable de prononcé et je m'étonne encore de la manière dont je suis arrivé ici sain et sauf ce matin sans m'endormir au volant.
_Tu es sûr ? Tu te comportes vraiment bizarrement depuis samedi et t'as l'air super fatigué.
_Je vais bien.
Je fais un nouvel effort surhumain pour réussir à sourire mais je crois que je n'obtiens qu'une grimace misérable au final parce que ça n'a pas l'air de le rassurer du tout.
_Tu dors la nuit ?
J'ai l'air de dormir ? Honnêtement Styles.
_Hm.
_Parce que si tu ne dors pas, tu vas -
_Ça va ! je souffle en secouant soudainement la tête de gauche à droite.
C'est la fatigue qui parle à ma place, je le sais, mais je n'arrive pas à empêcher ma bouche de débiter les prochaines paroles qui s'en échappent assez méchamment :
_Si j'avais voulu que quelqu'un s'occupe de moi, j'aurais appelé ma mère. Maintenant excuse-moi, j'ai besoin d'un café.
Et je dois avouer que j'aurais pu réussir ma putain de sortie théâtrale si cette foutue chaise ne s'était pas déplacée exprès pour se mettre en travers de mon chemin et me faire tomber. Enfin presque : j'ai réussi à retrouver mon équilibre in-extrémis après avoir dansé un semblant de french cancan pour me stabiliser.


*


Il est treize heures et j'ai la tête enfoncée dans un de mes coudes sur mon bureau. La pause déjeuné à finit il y a quelques minutes déjà mais je n'ai pas encore eu la force de me redresser ; même pas après les sept cafés que je me suis enfilés depuis ce matin.
Je devrais péter la forme non ? Être hyperactif. Ce n'est pas une des vertus miracle de la caféine ?


« Mange une pomme, c'est plus efficace ! »


Les mots qu'Alex me répète sans cesse quand je m'évertue à vouloir bosser à coup d'expresso me reviennent en mémoire et je grimace.
Ouais bah c'est de ta faute Alexander, je ne peux m'empêcher de penser pour moi-même en me sentant complètement con. Voilà, c'est officiel, je me parle tout seul.
L'univers noir qui m'enveloppe grâce à mes paupières fermées s'évanouie à la seconde même où je sens quelque chose me frôler le dos et je sursaute, me redressant d'un coup en manquant de peu de me casser la figure. Pour changer !
_Hey.
La voix est douce et inquiète et je soupire de soulagement en reconnaissant l'intonation anglaise de son propriétaire. Au moins, ce n'est pas le commandant.
_Désolé, j'essaye de me démerder en éclaircissant aussitôt ma voix, je me remets à bosser, j'étais juste en train de -
_Louis.
Ses boucles brunes tombent insolemment sur son front et son air de gamin est plus que jamais visible aujourd'hui à cause du froid qui rend ses joues plus rouges que d'habitude.
_Hm ?
Son regard est ancré dans le mien et c'est dur de se détourner le premier. C'est pour ça que je reste planté là comme un idiot sans répondre.
_Tu ne veux pas que je te ramène chez toi ?
Sa question est étrange et je mets plusieurs secondes avant d'en comprendre pleinement le sens. Mes sourcils se sont froncés et je grimace.
_Non, je vais bien, ça va.
Il lève les yeux au ciel et ce mini sourire amusé joue soudainement sur ses traits. Putain il vient de penser à un truc.
Il saute agilement sur mon bureau et s'assoit à côté de ma pile de dossier qui, malgré le fait que j'en ai compléter deux ce matin, s'est encore alourdie. Ses pieds touchent quasiment le sol même s'il est perché à plus d'un mètre de hauteur alors que moi, à sa place, j'aurais eut les deux jambes qui pendent lamentablement dans le vide comme un enfant de huit ans.
_On va jouer à un jeu d'accord ? il annonce.
Mon cerveau va exploser, j'ai l'impression que ce qu'il raconte n'a strictement aucun sens. J'hoche cependant la tête pour faire bonne figure et ne pas empirer mon cas et tente de le regarder sans que mes paupières ne me trahissent.
_Supposons que je sois ton chef et que tu me doives la vérité.
Bin tiens, un jeu de rôle.
_Depuis combien de temps tu n'as pas dormi ?
Je souffle et secoue la tête.
_C'est ridicule.
_Tomlinson.
_J'ai dormi cette nuit.
_Vraiment ? Et t'as fait la bringue de cinq heures à huit heures ce matin alors ?
_N'importe quoi putain !
Cette fois-ci je suis énervé. Contre coup du au manque de sommeil mais je ne peux pas contrôler mes paupières et mes pulsions émotionnelles à la fois alors il faut qu'il choisisse.
_Alors explique-moi pourquoi on dirait que ça fait une semaine que tu es en pyjama party constante !?
Il a élevé le ton aussi et je suis heureux de savoir que tous mes collègues ne sont pas encore revenus du self parce que leurs oreilles indiscrètes n'ont pas besoin d'assister à ce genre de conversation.
_Laisse tomber, je dois bosser.
Il attrape mon stylo avant moi et le jette un peu plus loin.
_Je ne laisse tomber rien du tout.
_Ça fait trois jours que je dors sur le canapé et que mon copain ne me parle plus ! j'explose soudain. Voilà ! T'es content, t'as eu ce que tu voulais ? Merde Styles, merde !
Contre coup émotionnel numéro deux : les larmes.
C'est ma journée, dieu, c'est ma journée. Je viens de perdre la dernière petite once de dignité et de masculinité qu'il me restait. Les perles d'eau salées roulent sur mes joues et je n'ai même pas la jugeote d'enfouir mon visage dans mes bras. Non, je reste planté là, tel un abruti, à regarder le gars qui m'a fait craquer et qui se mord la lèvre dans un geste tellement sexy que s'en ai déstabilisant.
Et à ma plus grande surprise, il n'éclate pas de rire et ne se moque pas ; il a l'air infiniment désolé et hésite à reprendre la parole :
_C'est ma faute.
Mes yeux humides s'écarquillent et je ne comprends plus rien du tout ; c'est définitif.
_C'est de ma faute, il répète en murmurant. Si je n'étais pas venu te chercher, tu -
_Arrête.
Ce n'est surement pas de sa faute. Je soupire et secoue la tête, mon pic d'excitation redescendant aussi rapidement qu'il était arrivé. Ma main rafle piteusement les larmes qui s'étaient éternisées sur mes pommettes et je continue :
_C'est bon, ça ira mieux demain, j'essaierais de mieux dormir ce soir. Je vais aller me faire un autre café.
Et au moment où je me lève pour faire un pas en direction de la porte, il saute de mon bureau et me rattrape.
_Laisse tomber le café, je te ramène réellement chez toi Louis. Je vais m'arranger pour ne pas décompter une demi-journée sur tes perms.
_Non mais je -
_C'est moi le Capitaine non ? J'ordonne et t'obéis.
Et avec cette dernière phrase je me la boucle complet parce qu'au final, je protestais juste pour faire bonne figure : j'ai cruellement envie de dormir et me damnerais pour m'affaler sur mon lit à ce moment précis.

318 Case.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant