XXV- ~Lucas~

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«He felt now that he was not simply close to her, but that he did not know where he ended and she began.»

Leo Tolstoy, Anna Karerina


Lucas se réveille et ses pensées se tournent immédiatement vers Iris. Il s'assoit péniblement dans la pénombre de sa chambre en se frottant vigoureusement les yeux. Le sommeil l'entoure toujours tel un cocon et il a du mal à s'en extirper. Finalement il se campe sur ses deux jambes et s'approche à l'aveugle de la fenêtre laissant à peine passer la lumière du jour. Sans cesser d'être à demi réveillé, il l'ouvre et rabat les volets. Une brise gelée vient lui lécher le visage et pénétrer dans la chambre illuminée par un soleil levant. Lucas a des difficultés pour garder les yeux ouverts devant cette soudaine luminosité, mais une fois habitué, il se met à observer le paysage devant lui.

Du quatrième étage, il peut apercevoir la ville entière se réveiller et les lumières s'allumer peu à peu dans les appartements des trois tours entourant la sienne. Un frisson le parcourt et la chair de poule apparaît sur ses bras nus. Lucas referme la fenêtre et retourne s'allonger sur son lit, les bras écartés. Son esprit vagabonde à mesure qu'il se désembrume et comme toujours finit par porter son attention sur Iris. Ces dernières semaines ont l'air d'un rêve pour le jeune homme. Il a même l'impression d'être drogué à force de tout voir en rose. Mais peut-être que sa nouvelle drogue a simplement un nom : celui d'Iris.

Il laisse son regard se perdre sur ses affaires en bazar lorsqu'il a soudain un flash. Cela ne dure qu'une fraction de seconde mais Lucas se redresse immédiatement en sentant son rythme cardiaque s'accélérer. Quelque chose vient de lui revenir en mémoire puis a disparu tout aussi rapidement. Il a rêvé, il en est persuadé. Mais il a beau chercher, il ne se souvient pas de quoi. Pourtant, il a l'étrange impression que c'est important, comme une forme au coin de l'œil qu'il ne parviendrait pas à distinguer. Il reste ainsi concentré pendant quelques minutes mais finit par abandonner à cause d'un mal de crâne grandissant.

Conscient de l'heure qu'il est et qu'il risque d'être en retard au travail, Lucas se force à se lever et s'habille en quatrième vitesse. Il pénètre dans le salon à pas feutrés et constate que son père est toujours allongé sur le canapé, à ronfler comme un tracteur alors que la télévision continue de diffuser des feuilletons sans interruption. La pièce empeste l'alcool fort tout comme monsieur Petersen. Lucas met un point d'honneur à éviter de poser son regard sur lui et se dirige vers le frigo. Un soupir d'exaspération s'échappe d'entre ses lèvres lorsqu'il s'aperçoit qu'il est presque vide et qu'une poêle est carrément entreposée à l'intérieur. Bon. Il devra faire des courses en rentrant.

Après avoir lancé un dernier regard à son père et enfilé une veste chaude et ses chaussures, Lucas sort de l'appartement. Il dévale les quatre étages en une minute et se retrouve bientôt entouré de la brise fraîche du matin. Du givre recouvre le pare-brise des voitures et une épaisse buée blanche se forme chaque fois qu'il expire. Les mains profondément enfoncées dans ses poches, Lucas se rend à l'arrêt de bus le plus proche et attend avec impatience le véhicule. « Allez, c'est la dernière fois que j'aurais à le prendre. » Se dit-il en frictionnant ses paumes l'une contre l'autre.

En effet, c'est aujourd'hui le grand jour pour le garçon. Il a enfin réussi à économiser assez d'argent pour passer son permis et pouvoir s'acheter une moto d'occasion vendue par le père de Johan. Il sent la hâte et l'exaltation monter à mesure que le bus s'approche du garage, comme un enfant attendant ses cadeaux de noël. En réalité, deux choses vont faire son bonheur aujourd'hui : acheter sa moto rêvée et voir Iris en fin d'après-midi. Il espère même secrètement qu'elle acceptera de faire un tour dessus mais il ne se fait pas trop d'illusions. Ce type de véhicule n'est pas le plus sécurisé et il se doute que même en la rassurant, de vieux traumatismes refassent surface.

Le cycle de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant