XXXII- ~Iris~

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« Death is the only god who comes when you call

Roger Zelazny, Frost and Fire

Iris ne cesse de faire les cent pas. L'odeur de désinfectant, la lumière des néons qui lui grille la rétine, le bruit incessant des machines à café et des plaintes des blessés ; tout dans cet hôpital lui rappelle de mauvais souvenirs. C'est pour ça que bouger est la seule chose qu'elle est capable de faire à cet instant. Cela l'aide à garder les souvenirs de son séjour ici retranchés dans un coin de sa mémoire, à ne pas se concentrer sur une chose à la fois au risque de se laisser engloutir par eux. Contrairement à elle, Lucas est assis sur l'un des nombreux fauteuils de la salle d'attente, perdu dans ses pensées. Son pied ne cesse de cogner contre le sol, signe de grande nervosité, et son regard est braqué devant lui, sans qu'il ne regarde une chose en particulier. Ses sourcils sont froncés et Iris donnerait tout pour pouvoir lire dans ses pensées.

Après avoir pris une énième inspiration, la jeune fille retourne s'asseoir auprès de Lucas. Il n'a pas dit un mot depuis qu'ils sont arrivés à l'hôpital à bord de l'ambulance transportant Monsieur Petersen et cela l'inquiète. Il semble plongé dans un état d'appréhension qu'elle ne lui a jamais vu, c'est pour ça qu'elle hésite quelques secondes avant de lui adresser la parole.

- Lucas... l'interpelle-t-elle d'une voix qu'elle espère rassurante tout en posant sa main sur la sienne, regarde-moi.

Celui-ci finit par s'exécuter et elle remarque que ses yeux sont plus rougis que tout à l'heure. Une boule se forme dans sa gorge et elle augmente instinctivement la pression de sa main sur la sienne.

- Il va s'en sortir, lui assure-t-elle.

Le garçon la dévisage, et Iris voit passer une myriade d'émotions sur son visage fatigué.

- Tu ne comprends pas, lui dit-il d'une voix qu'il essaye tant bien que mal de contrôler malgré l'émotion qui le submerge. J'ai beau le détester, ne rien vouloir avoir affaire avec lui, je refuse qu'il m'abandonne sans rien dire lui aussi. Il n'a pas le droit. C'est juste pas possible, je n'y arriverai pas une seconde fois... pas une seconde fois.

Iris n'attend pas et le prend dans ses bras alors qu'elle sent la poitrine de son petit ami se soulever de plus en plus vite et son corps être pris de tremblements. Elle le serre fort contre elle pour lui montrer qu'elle est là, qu'elle ne le quittera pas et qu'il peut se reposer sur elle. Iris voudrait en faire plus, n'importe quoi pour que cette douleur qu'il ressent s'estompe. Elle ne supporte pas de le voir dans cet état. Il est rare que Lucas montre sa fragilité et lui parle ainsi de sa famille, alors le voir perdre le contrôle en plein milieu de cet hôpital la bouleverse.

Il s'agrippe à elle et elle fait la même chose. Peut-être parce qu'elle a peur de le perdre, peut-être parce qu'être ici lui remémore des sentiments qu'elle a méticuleusement enfouis ces derniers mois et qu'elle a besoin de lui pour être son ancrage à la réalité. Soudain, un flash resurgit alors qu'elle vient de fermer les yeux. Elle se revoit arriver ici sur un brancard, quelqu'un la pousse rapidement dans les nombreux couloirs de l'hôpital alors que ses paupières papillonnent, luttant pour rester ouvertes. Elle se souvient des néons qui défilent devant ses yeux et de sa vision qui se trouble alors qu'un goût de sang lui remonte dans la gorge. Elle a encore le souvenir vivace de ce goût dans la bouche alors qu'elle se sépare lentement de Lucas. Parfois, elle se demande comment elle peut se souvenir de ça alors qu'elle était à peine consciente, aveuglée par la douleur et par le choc de l'accident. Il faut croire que ces événements l'ont tellement marqué que de temps à autre, il n'ont pas d'autre choix que de revenir à la surface.

Le cycle de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant