Chapitre 2

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Le poing suspendu à quelques millimètres de la porte en bois, Lyssandra hésita. On ne pouvait pas repousser l'inévitable. Pourtant, à cet instant, elle aurait vraiment aimé avoir la capacité de figer le temps pour ne pas avoir à entrer dans le salon du manoir. Elle avait mis moins d'une vingtaine de minutes à prendre son bain dans une eau plus froide que chaude et à changer ses vêtements. Pour bien faire, elle aurait dû commencer à faire tremper sa robe sale dans une bassine, mais les minutes lui étaient comptées. Elle avait déjà trop fait attendre les vampires.

— Entre, dépêche-toi, retentit la voix de Dame Miranda depuis l'autre côté de la porte.

Eh mince, pensa Lyssandra. Elle avait dû respirer trop fort pour se donner du courage et l'ouïe surnaturelle des vampires l'avait trahie. Elle tourna la poignée de la porte et entra dans le salon. Tous les volets étaient clos et seul un grand lustre où étaient fixées des dizaines de chandelles éclairait la pièce. Les murs étaient peints d'un vert sombre et ornés de grands tableaux que la maîtresse de maison et ses filles avaient acquis au fil de leurs longues années de vie. Certains étaient même l'oeuvre de Kristal, même si Lyssandra trouvait qu'elle avait un bien faible talent pour l'art... Mais cela, elle le gardait pour elle, bien entendu.

Justement, Kristal était assise sur un petit fauteuil doré assorti au reste du mobilier, occupée à examiner ses nouvelles bobines de fil que Lyssandra venait de lui apporter. Elle changeait régulièrement de passion et en ce moment, elle avait jeté son dévolu sur la couture. Lyssandra courait presque tous les deux jours au village afin de lui procurer de nouveaux tissus ou de nouvelles aiguilles. Les robes qu'elle cousait n'étaient pas vilaines, seulement il arrivait que certaines aient une manche plus longue que l'autre ou que les jupons soient bien plus courts derrière que devant...

— Au moins tu ne t'es pas trompée, déclara froidement la petite vampire aux cheveux roux sans quitter sa bobine des yeux. C'est exactement ce que je voulais.

Cela aurait pu rassurer Lyssandra, or elle savait que ce n'était pas de Kristal dont elle devait avoir le plus peur.

— Et ce sont bien les deux derniers volumes de la Trilogie des Âmes, indiqua Alisée en désignant les deux livres qu'elle tenait en main. Mais ils sont un peu mouillés...

La Neutre avait toujours jugé qu'Alisée était la plus belle des trois vampires occupant le manoir. Âgée de vingt-cinq ans le jour où elle avait été transformée par Dame Miranda, elle avait la peau métisse, de sublimes cheveux frisés et de grands yeux sombres. Ses lèvres étaient toujours d'un magnifique rouge bordeaux. Lyssandra avait fini par croire cette teinte naturelle tant elle ne retrouvait jamais aucune trace de rouge à lèvres lorsque Alisée se nourrissait à son poignet.

— J'espère que les pages ne vont pas gondoler, poursuivit-elle en se tournant vers une petite étagère garnie de livres située au fond du salon.

Si Kristal avait un semblant d'attrait pour la couture, ce n'était rien comparé à l'amour qu'Alisée portait aux livres. Lyssandra ignorait combien la vampire avait pu en lire en cent deux ans — son véritable âge — mais si Alisée s'intéressait à un ouvrage, mieux valait avoir une bonne raison pour la perturber dans sa lecture...

— De beaux livres et de jolies bobines ne justifient pas un tel manque de respect, intervint Dame Miranda de sa voix grave.

Lyssandra aurait préféré déchirer tous les livres d'Alisée et affronter sa colère plutôt que devoir se confronter à celle de Dame Miranda pour un simple retard. La plus âgée des vampires se tenait à moitié allongée sur une méridienne au centre de la pièce. Jusque-là, elle n'avait pas prêté attention à Lyssandra, mais désormais ses yeux verts perçants la fixaient avec amusement.

Cendres de Lune [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant