Si Lyssandra avait dû parier sur les circonstances de sa mort, elle aurait juré finir vidée de son sang, entre les mains de Dame Miranda. Elle s'était toujours imaginé que cette dernière déciderait un jour de la tuer, lorsqu'elle se serait suffisamment délectée de ses souffrances. Elle l'aurait enterrée entre deux arbres de la forêt, sans prendre la peine d'ériger une stèle, et personne n'aurait plus jamais parlé de la jeune fille. Son existence aurait été aussi mémorable que celle d'un misérable cafard.
Cependant, finir décapitée sous les ordres du roi des vampires était bien la dernière chose à laquelle Lyssandra s'était attendue.
Car c'était bel et bien cela qui allait lui arriver, n'est-ce pas ? La princesse allait ordonner son arrestation pour agression d'un membre de la famille royale, puis la Neutre serait conduite à son procès sur la Terre des Vampires. Non, songea-t-elle en fixant la tache de sang qui ne cessait de s'étendre sur la robe d'Isabella. Ils ne vont même pas t'accorder un procès. Tu seras tuée sur-le-champ.
— C'est un joli poignard que tu as là, fit la princesse en se penchant pour ramasser l'arme. Vous avez vu tous ces joyaux, Duncan ?
Observant les pierreries avec attention, elle ne se préoccupait pas le moins du monde de sa plaie, comme si se faire embrocher par une lame en bois lui était aussi habituel que de se brosser les cheveux. Son garde du corps avait l'air un tant soit peu plus alarmé qu'elle, et avança doucement son allumette vers Lyssandra. L'intéressée restait adossée à la porte, pétrifiée de la tête aux pieds sous le regard circonspect de l'homme.
— Duncan, trouvez une bougie ou cette allumette va vous brûler les doigts, lui conseilla Isabella sans lever les yeux du poignard dont l'extrémité était encore maculée de son propre sang.
Le garde du corps s'exécuta et fouilla dans un tiroir d'où il sortit une chandelle. Ce n'est qu'à cet instant que Lyssandra réalisa où ils se trouvaient : dans un placard. La lumière de la flamme éclairait une minuscule pièce, juste assez grande pour accueillir une vieille commode et quelques patères suspendues aux murs. La jeune fille ignorait si Isabella et ce certain Duncan s'étaient cachés ici uniquement pour attraper un Neutre, mais elle jugea que c'était un endroit fort peu décent pour une princesse...
— Que faisiez-vous ici, mademoiselle ? demanda finalement le garde du corps en se tournant vers Lyssandra. Et pourquoi aviez-vous une telle arme sur vous ? Avez-vous été mandatée par quelqu'un pour assassiner la princesse ?
À ces mots, Isabella éclata de rire, mais ne fit aucune remarque. Elle était toujours aussi absorbée dans sa contemplation du poignard. Lyssandra ouvrit la bouche, sans qu'aucun mot n'en sorte. Son souffle était irrémédiablement bloqué dans sa poitrine, ce qui n'échappa pas à Duncan.
— Isabella, je crois que cette fille est en état de choc.
— Que de familiarités, monsieur Blackfire ! s'écria la princesse en lui envoyant un petit coup sur le torse. Dois-je vous rappeler que vous êtes tenu de m'appeler Votre Altesse Royale ?
On aurait dit qu'elle jouait dans une pièce de théâtre dont elle était la seule à connaître l'intrigue. Son sourire amusé trahissait ses faux airs outrés face à l'irrespect que venait de manifester son garde du corps. Ce dernier se permit même de lever les yeux au ciel, comme s'il avait déjà vécu maintes fois cette situation. Isabella prit cependant la peine de porter son attention sur Lyssandra.
— Comment tu t'appelles ? s'enquit-elle avec désinvolture. Non, en fait oublie cette question. Dis-moi plutôt pourquoi tu as décidé de trouer ma robe.
Son ton n'était pas particulièrement menaçant, mais le froid qui se dégageait de son corps suffit à glacer la Neutre. Ce placard était beaucoup trop petit à son goût, et sentir de si près la présence des deux vampires lui était insupportable.
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Cendres de Lune [TERMINÉ]
FantasyDans un monde où les vampires et les loups-garous règnent en maîtres, Lyssandra est une Neutre, c'est-à-dire rien du tout. Poche de sang sur pattes d'une famille de vampires bien décidée à faire de sa vie un enfer, elle s'est plus ou moins résignée...