Lyssandra se demandait franchement pourquoi Julian avait changé de chaussures. Celles qu'il avait laissées au pied de l'arbre auraient facilement pu tenir une à deux années de plus. Sa propriétaire était vraiment bienveillante pour l'autoriser à en acheter de nouvelles. Dame Miranda n'aurait jamais toléré un gâchis pareil...
Cela faisait environ cinq minutes que la Neutre attendait au croisement, adossée au gros tronc de l'arbre où avaient été déposées les chaussures. Julian avait prit garde à les garnir de lourdes pierres. Il avait bien fait car ce matin-là, le vent soufflait si fort que Lyssandra ne tentait même plus de dégager ses cheveux blonds de son visage. Les bras croisés sur sa poitrine, le froid la rongeait.
Elle était à deux doigts de partir seule vers le village lorsqu'enfin, le jeune homme lui apparut au loin. Il la repéra aussi et s'efforça de trottiner... sauf que son pied rencontra une énorme racine et il trébucha. Heureusement, il se rattrapa avec peine et Lyssandra ne put s'empêcher d'éclater de rire.
— Je déteste cette forêt, grommela-t-il en arrivant vers elle. De tout mon coeur et de toute mon âme.
— Rien que ça ! fit-elle sans pouvoir s'arrêter de ricaner. Je suis désolée, je ne veux vraiment pas me moquer de toi mais... c'était magnifique.
Il releva le bas de son pantalon puis se frotta la cheville en grognant. Il essaya de faire un pas, trébucha de nouveau, et la jeune fille coupa court à son hilarité.
— Tu t'es fait mal ? demanda-t-elle penaude, se sentant soudain encore plus bête qu'elle ne croyait l'être.
Julian releva la tête vers elle et son visage se fendit d'un grand sourire qui illumina ses yeux marron.
— Avoue que mon numéro de grand blessé est plutôt convaincant, se vanta-t-il en marchant sans aucun problème.
— Tu passes à côté d'une grande carrière de comédien, ironisa Lyssandra en levant les yeux au ciel. Tu as déjà postulé au théâtre du village ? Ils ne savent pas quel talent ils perdent...
Comme il s'était mis en route, elle accéléra le pas pour le rattraper. Une nouvelle rafale de vent glaçante siffla et la Neutre songea à retourner au manoir. Ses mains tremblaient et ses pieds étaient si gelés qu'elle ne sentait plus ses orteils. Elle remarqua que Julian non plus ne semblait pas au meilleur de sa forme.
— Pourquoi dois-tu aller au village ? l'interrogea-t-il en resserrant sa cape autour de lui.
— Je n'ai plus beaucoup de Fortifiants.
Il hocha la tête, sans ajouter quoi que ce soit. Ils restèrent silencieux pendant une bonne centaine de mètres, jusqu'à ce qu'il se retourne vers elle subitement.
— En fait, j'ai quelque chose pour toi, dit-il à toute vitesse.
Il fouilla nerveusement dans la poche de son manteau et sortit une enveloppe aux coins quelque peu cornés. Lyssandra la fixa sans comprendre, jusqu'à discerner le nom qui y était écrit. Dame Miranda.
— C'est pour ta propriétaire, bégaya-t-il alors que la jeune fille était incapable d'articuler le moindre mot. Hilda lui propose de te racheter... C'est une offre de contrat officiel.
La Neutre ne pouvait détacher son regard de l'enveloppe. Ses lèvres s'entrouvrirent mais elle ne put parler.
— Je sais exactement ce que tu vas me dire, continua Julian d'une voix toujours plus hésitante. Qu'on ne se connaît pas, que ce ne sont pas mes affaires, que Dame Miranda ne voudra jamais te laisser partir mais... Sache que le monde n'est pas rempli de gens qui ne veulent que ton malheur.
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Cendres de Lune [TERMINÉ]
FantasyDans un monde où les vampires et les loups-garous règnent en maîtres, Lyssandra est une Neutre, c'est-à-dire rien du tout. Poche de sang sur pattes d'une famille de vampires bien décidée à faire de sa vie un enfer, elle s'est plus ou moins résignée...