Chapitre 38

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Depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvenait, Lyssandra avait toujours été habituée à faire attention à l'heure. Cela commençait par l'heure à laquelle elle devait se lever, afin d'effectuer les différentes tâches que réclamait l'entretien du manoir. Puis venait ensuite l'heure de rentrer du village si elle y avait été envoyée, pour être certaine d'être de retour lors du réveil des vampires.

Toute sa vie, Lyssandra avait dû faire attention au temps. Alors désormais, cela lui faisait étrange de ne plus en avoir aucune conscience.

Elle supposait qu'au moins une semaine s'était écoulée depuis qu'elle avait été enfermée dans ce grenier. La faible lumière qui filtrait à travers les tuiles du hublot lui en donnait un vague indicateur, tout comme les maigres repas que lui apportait Dame Miranda. La Neutre ignorait la manière dont la vampire s'y prenait, mais elle lui rendait toujours visite lorsqu'elle dormait. Elle avait beau essayer de lutter contre le sommeil de toutes ses forces, elle finissait irrémédiablement par s'endormir. À son réveil, un plateau était déposé près de la trappe, contenant la dose minimale de nourriture suffisante à sa survie.

Pour être tout à fait honnête, Lyssandra était bien heureuse de ne pas voir Dame Miranda. Elle savait que si elle l'avait une nouvelle fois face à elle, elle n'hésiterait pas à lui sauter dessus, avec ou sans arme. Même si elle avait repris quelques forces depuis la Nuit des Bagues, son poignet lui était toujours douloureux. Elle avait fini par essayer de le remettre en place, mais craignait de n'avoir fait qu'empirer les choses. Si elle se jetait sur la vampire pour planter un pieu dans son coeur de pierre, il ne faisait aucun doute qu'elle s'en sortirait avec de nouveaux membres cassés.

Or, si elle voulait sortir d'ici, elle avait besoin que tous ses os soient en bon état.

Cela faisait déjà un temps considérable qu'elle essayait de frapper contre les murs, de déboîter des lames de plancher, de casser cette maudite trappe impossible à soulever... Plus elle tentait des choses improbables pour tenter de s'échapper, plus elle se rendait compte de la folie de Dame Miranda. Comment a-t-elle pu concevoir une telle prison ? Les cloisons étaient si épaisses que seul un son extrêmement sourd s'en échappait lorsque Lyssandra les cognait. Pourtant, le grenier ne désemplissait pas d'objets qu'elle tentait d'utiliser pour ne serait-ce que fissurer les murs. Il y avait des cannes avec des pommeaux en pierres sculptées, de vieux ustensiles de cuisine devant dater d'un autre siècle, des chandeliers forgés en un métal extrêmement lourd...

Rien ne réussissait à endommager cette geôle parfaite. Lyssandra était persuadée que même au château du roi des vampires, les cachots n'étaient pas si bien conçus.

Comme elle était fatiguée et que ses paumes étaient rouges à force de s'acharner après la moindre surface, elle se laissa tomber sur la vieille paillasse où elle avait l'habitude de dormir. Ce n'était pas vraiment confortable, mais c'était toujours mieux que de rester allongée sur le parquet. L'odeur de renfermé et de moisi qui se dégageait de chaque recoin de la pièce lui donnait mal à la tête. Heureusement, il pleuvait assez régulièrement et la jeune fille avait réussi à maîtriser le procédé étrange de sa baignoire. Même si l'eau était froide, elle était bien contente de pouvoir conserver un minimum d'hygiène.

Lorsqu'elle y réfléchissait, elle se rendait compte que cet endroit n'avait pas été élaboré pour tuer quelqu'un. Au contraire, il avait tout pour maintenir la personne enfermée en vie. Les centaines de bougies que contenaient quelques caisses en bois permettaient de maintenir une certaine luminosité, ainsi qu'un semblant de chaleur. Le printemps rayonnait au-dehors, ce qui évitait à Lyssandra d'être frigorifiée, malgré les nuits parfois assez fraîches.

Non, cet endroit n'était pas fait pour tuer... mais pour rendre complètement fou.

Absolument aucun son ne lui parvenait de l'extérieur, ce qui menaçait de lui faire perdre la tête. Elle n'aurait jamais pensé dire cela un jour, mais le bruit lui manquait. Elle qui d'ordinaire aimait le calme de la forêt, voilà qu'elle ne supportait pas cet affreux silence pesant. Elle n'entendait pas la moindre agitation provenant des étages inférieurs, pas le moindre oiseau brailler au-dehors... Pas le moindre signe que Julian était toujours en train de la chercher.

Cendres de Lune [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant