Chapitre 1 - Un étrange voleur

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Lucas laissa son regard dériver sur la trentaine de personnes qui attendait encore d'être servie. L'hiver n'avait pas été aussi froid depuis plus de vingt ans. Les réserves de la cité d'Eramorre s'amenuisaient de jour en jour. Il espérait que les derniers habitants présents à la distribution des rations en cette fin d'après midi puissent récupérer de quoi se nourrir avant que les tables ne soient vides. Les gardes, emmitouflaient dans leurs épaisses capes en laines grises, bougeaient régulièrement de quelques pas afin de se réchauffer. Combien de morts seraient encore à déplorer aujourd'hui ? Tout le royaume semblait s'être rassemblé aux alentours de la capitale, et chaque jour, une centaines de personnes décédait de froid ou de malnutrition, les agressions et les vols avaient augmenté, et les violences dans la cité étaient à leur paroxysme. Ils avaient de plus en plus de mal à maintenir l'ordre et le calme. Le peuple mourrait de faim.

— Arrêtez-vous là !

Le cri du garde le tira de ses réflexions moroses avant même qu'il ne sente un poids l'entrainer vers le bas de sa monture.

Un homme venait de se pendre à sa botte impeccablement cirée, manquant de le faire tomber de cheval. Réactifs, les soldats le rattrapèrent en quelques secondes et le tirèrent en arrière par les aisselles pendant qu'il se débattait comme un beau diable.

— Votre Altesse ! Vous devez nous aider ! Nous avons besoin de plus de pain !

Dans l'agitation que provoqua l'intervention, personne ne remarqua tout de suite la silhouette menue recouverte d'un capuchon s'approchée des tables et voler l'un des petits sacs de blé avec la plus grande discrétion.

— Arrêtez, lâchez-le ! Ordonna Lucas d'un ton sec, et donnez-lui une ration.

Les cuisinières du château réquisitionnées afin de s'occuper de la distribution reportèrent leur attention sur la grande table devant elles, où les victuailles avaient été divisées en petits tas de manière à pouvoir servir l'ensemble des habitants de la cité le plus rapidement possible.

— Hey ! Il me manque une portion ! S'écria une petite blonde rondouillette.

— Laisse-moi regarder ! S'exclama le capitaine des gardes.

Du haut de son cheval Lucas scruta la petite place, guettant une attitude anormale, quelqu'un d'un peu trop pressé. L'étalon blanc se laissa guider aisément à travers la foule éparse. Enfin, il trouva ce qu'il cherchait. Une hombre suspecte passait à côté du puits central et s'apprêtait à emprunter calmement la rue opposée alors que personne n'était censé avoir récupérer de pain ou de blé depuis plus de cinq minutes.

— Hey vous là bas ! Je vous ordonne de vous arrêtez immédiatement. Ne bougez plus !

La petite silhouette tourna la tête vers lui, ne dévoilant aucuns traits de son visage qui était entièrement recouvert par la grande capuche en mauvais lin. Lucas eut juste le temps de décerner une mèche rousse s'échapper du vêtement avant que l'intrus ne se mette à courir.

— Gardes ! Le voleur est là bas ! Arrêtez-le ! Aboya-t-il.

Il talonna son cheval qui partit au galop. Impossible que ce vaut-rien ne lui échappe. Aucun humain ne devance un étalon à la course, surtout pas Krigan, et qui plus est sur un sol glissant et boueux. La petite silhouette glissa plusieurs fois dans sa tentative de fuite effrénée pour lui échapper, se rattrapant de justesse à des objets ou des poutrelles en bois dépassant du mur de certaines des maisons en bois et en torchis. Lucas y était presque, bientôt, il allait pouvoir l'atteindre. Derrière lui, le reste des gardes se dispersaient dans les rues de manière à faire barrage à un éventuel changement de direction de l'intrus. Soudain, la silhouette bifurqua dans une ruelle étroite sur la gauche. Lucas aperçut une chemise en lin fin qui lui descendait jusqu'à mis cuisse. Le pauvre garçon devait mourir de froid dans un tel accoutrement. C'était une impasse. Si le petit voleur décidait de faire demi-tour, il se heurterait à la monture du jeune prince héritier du pays d'Arcin, il n'avait d'autre choix que de se rendre. Lucas ralentit sa monture afin de se rapprocher de lui sans risquer de le blesser. Le garçon, affolé, cherchait une échappatoire. Ses mouvements de tête et sa position ne laissait guère de doute sur son état d'esprit. Il fallait qu'il se sorte de là, mais il ne trouvait pas d'issue. Sentant la présence du cavalier à quelques mètres derrière lui, il se retourna et se colla contre le mur, comme s'il avait pu le traverser, serrant contre lui son maigre butin.

Tiliana d'Ovra - Les Sans PeupleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant