Tiliana d'Ovra - Les Sans Peuple

Chapitre 22 - Les cachots

Une chaîne entravant ses chevilles et ses poignets avait remplacé la corde dont on l'avait d'abord affublé. Cela faisait quatre jours qu'elle était enfermée dans ce cachot sombre et froid, rendu encore plus humide par les récentes pluies printanières. La terre avait été trop infiltrée par l'eau pour sécher en si peu de temps. La paillasse et la vieille couverture qui lui servaient de lit dataient de plusieurs années, et avaient vu passer bien d'autres prisonniers avant elle. Une écuelle encore pleine d'une mixture informe gisait par terre. Tiliana n'y avait pas touché. Elle n'avait rien mangé depuis qu'elle était enfermée. Elle tournait le dos à la grille, mais sa respiration régulière et tranquille ne laissait aucun doute, elle était endormie. Lucas n'en revenait pas. Comment faisait-elle pour roupiller dans ces conditions ?

C'était la première fois depuis son arrestation dans la grande salle qu'il venait la voir. Durant ce laps de temps, il avait tout fait pour oublier sa présence, et effacer de sa mémoire la scène qui s'était déroulée dans la bibliothèque. Krigan était encore dans les écuries en train de récupérer de la distance qu'il lui avait fait parcourir pour se détendre. En fait, il avait tout fait pour retarder cette confrontation, mais son père venait de trouver le livre, et lui avait ordonné d'en informer Tiliana. Le Roi Pierre avait été furieux lorsqu'il avait appris que les Sans Peuples avaient réussi à s'enfuir vivants dans la forêt, malgré tout les dispositifs qu'il avait mis en place pour qu'ils soient tués. Il s'était enfin rendu compte que pendant tout le temps de l'audience où il avait eu l'impression de mener la négociation, elle avait toujours eu une longueur d'avance sur lui.

Lucas s'approcha un peu plus de la grille, et sortit les clefs de la cellule qui tintèrent dans sa main. Il retint son souffle, sans raison. Tiliana bougea et se retourna doucement. Leurs regards s'accrochèrent immédiatement.  Du sang tachait son habit, et des contusions et des coupures étaient visibles sur son visage et ses avant bras dénudés. Elle avait été frappée. 

Bien qu'elle essaya de garder une contenance, il ne put que remarquer la grimace qui déforma son visage lorsqu'elle se redressa pour s'assoir, et sa main qui se porta automatiquement à son épaule. Il refréna de justesse son premier reflex en évitant de se jeter sur la porte pour l'ouvrir et de courir pour la prendre dans ses bras et la soutenir. A la place, il prit son temps, et la clef tourna lentement dans la serrure avec un grincement sonore de vieux métal rouillé.

— Vous ne devriez peut-être pas vous avancez, le coupa-t-elle alors qu'il pénétrait dans la petite cellule, après tout je suis une dangereuse criminelle, sœur de celui qui va bientôt attaquer votre royaume.

Le visage de Lucas s'assombrit. Il tressaillit en entendant le vouvoiement qu'elle employait à nouveau pour s'adresser à lui. Et elle avait le culot de faire de l'ironie dans de telles circonstances. Il resta debout, aussi loin que possible d'elle, mais la proximité qui leur était imposée par l'espace restreint décuplait l'envie qu'il avait de la serrer contre lui.

— Je viens te voir pour t'annoncer que la patrouille envoyée par mon père a récupéré le livre. Il était bien à l'endroit que tu nous avais indiqué.

— Bien sûr qu'il y était. Je n'ai qu'une parole. Maintenant, si c'est tout ce que vous avez à me dire, vous pourriez vous retirer. Je dois me reposer pour me préparer à la prochaine séance d'interrogation.

Lucas s'approcha d'elle.

— Tu crois que tu es en position de me congédier ?

Tiliana tenta de se lever, mais ses entraves et son corps douloureux l'en empêchèrent et elle retomba en arrière. Lucas se jeta en avant pour la rattraper avant qu'elle ne se cogne contre le mur, et elle se retrouva le nez contre sa clavicule, à moitié écrasée sous son poids. Il se souleva, sur les avants bras, avant de se redresser rapidement et de s'écarter un peu, tandis que Tiliana tentait de reprendre ses esprits.