Tiliana d'Ovra - Les Sans Peuple

Chapitre 9 - Evadée

Les chevaux marchaient depuis quelques temps déjà. La nuit était tombée, mais Lucas refusait de s'arrêter avant d'avoir atteint la frontière d'Arcin qui les mettrait plus en sécurité. Derrière sa monture, il sentait Tiliana qui trébuchait de plus en plus, se prenant les pieds dans les racines. Il ne s'était pas retourné, mais il l'entendait pester à chaque fois qu'elle retrouvait son équilibre, et Valentin qui fermait la marche soupirait régulièrement devant la lenteur de leur allure. Lucas éprouvait des remords à l'avoir faite marcher. Il avait décidé cela sous le coup de la colère mais ils avaient parcouru près de vingt kilomètres depuis qu'ils étaient repartis et elle ne s'était pas arrêtée une seule fois. Ils ne lui avaient pas donné à boire, ni à manger. Lucas sentait sa présence dans son dos. Si un regard pouvait tuer, il serait mort sur le champ. Alors qu'il la sentait glissait sur un tapis de mousse une énième fois, il décida :

— Arrêtons-nous ici. Nous ne sommes plus qu'à quarante Lieux d'Erramore. Nous finirons d'arriver demain matin.

Tiliana se laissa tomber sur les fesses, ne desserrant pas la mâchoire, pas même pour répondre lorsqu'il lui proposa de l'eau.

— Très bien, c'est comme vous voulez, dit-il en rebouchant la gourde. Ne venez pas vous plaindre plus tard.

En réponse, elle détourna la tête. Ils étaient presque arrivés, ils étaient en sûreté. Les deux jeunes hommes l'avaient attaché à un arbre, et s'étaient réunis autour d'un feu pour déguster leurs dernières provisions de pain rancit et de viande séchée, totalement absorbés par leur conversation sur les prochaines récoltes du royaume. Bien sûr, ils n'auraient jamais parlé de stratégie de guerre devant elle. Il était plus que temps pour elle de s'évader.

Tiliana regarda autour d'elle. Ils avaient trouvé toutes ses armes, jusqu'à la petite lame dissimulée dans sa botte droite. il lui fallait une nouvelle idée pour trancher ses liens. Ne trouvant rien d'assez coupant qui soit à sa portée, elle se mit à frotter la corde qui l'entravait contre l'écorce de l'arbre, le plus discrètement possible, jusqu'à ce qu'enfin, elle la sente se détendre, puis dans un dernier craquement, lâcher. Ça avait toujours été le problème de ce type de corde. Elles n'avaient rien de bien résistantes, dès lors qu'on connaissait leur point faible.

Elle ne bougea pas tout de suite, mieux valait-il attendre que l'obscurité s'épaississe et qu'ils s'endorment, laissant presque mourir les quelques flemmes qui les éclairaient encore. Ce n'est qu'alors qu'elle se décida à s'enfuir.

Mais avant de disparaitre, elle avait certaines choses à récupérer. Elle repéra ses couteaux négligemment posés près de la tête de Lucas. Se mouvant telle avec la plus grande discrétion, elle s'approcha des dormeurs, et reprit ce qui lui appartenait. Valentin se retourna en prononçant des mots parfaitement incompréhensibles. Aussitôt, elle se figea, guettant le moindre signe qui aurait pu lui laisser penser qu'il se réveillait.

Rien ne se passa. Il se remit à baver allègrement sur la scelle en cuire qui lui servait d'oreiller, et à ronfler légèrement. Devant un tel spectacle, Tiliana s'accorda le luxe de se moquer de lui quelques secondes de plus, jusqu'à ce qu'une grosse tête grise tenant une petite sacoche dans la gueule apparaissent entre deux arbres et la rappelle à ses obligations. Tiliana ne put réprimer un sourire satisfait. Louve avait ce qu'elle lui avait confié. S'approchant des chevaux, elle se demanda une dernière fois si elle faisait bien de voler l'une des montures, si elle n'aurait pas mieux fait de partir à pied. Ce doute fugace s'effaça bien vite lorsqu'elle repensa à la distance qu'ils lui avaient fait parcourir en marchant. De toute façon, elle n'irait pas bien loin sans cheval. Après son coup d'éclat contre les soldats d'Ovra, les deux jeunes hommes avaient cru qu'elle était complètement guérie, mais elle n'avait pas été assez forte pour se soigner totalement, et sa blessure ne s'était que partiellement refermée.