Chapitre 13 - Partez

42 3 0
                                    

Plus de trois jours se déroulèrent, tous sur le même model. Lucas observait absolument tout ce qui se passait autour de lui, enregistrant les moindres détails, depuis la joie de vivre qu'il régnait en ce lieu jusqu'au meilleur angle d'attaque pour prendre le campement d'assaut. Une étrange routine avait commencé à s'installer et il se demandait s'il ne commençait pas à apprécier la compagnie de la jeune fille. Elle était surprenante. Elle s'absentait toutes les nuits, ne revenait qu'à l'aube, et pourtant, elle passait ses journées à aider à la réalisation des travaux du camp Liberté. Malgré quelques remarques sarcastiques, elle le traitait plutôt bien, il devait l'admettre. Ils étaient tous les deux dans la grotte qui servait d'habitation à partager un modeste repas lorsque la louve arriva.

Elle sauta affectueusement sur Tiliana, lui léchant allègrement la figure. Celle-ci caressa affectueusement l'épais pelage de l'animal pendant de longues minutes, avant qu'un garçon maigrichon, couvert de sueur, ne débarque en trombe dans la petite pièce. Il s'arrêta juste devant eux, plié en deux, le souffle coupé.

— Tory ! S'étonna Tiliane, que se passe-t-il ?

Lucas n'en revenait pas. Devant lui se tenait le garçon qu'il avait aidé autrefois, celui à qui il avait donné à manger et fourni des couvertures dans la zone noire. Celui-ci inspira profondément et s'apprêta à raconter ce qui s'était passé à Erramore lorsqu'il s'aperçu de la présence de Lucas.

— Ah... Je vois que vous êtes déjà au courant de la première partie, Ma Dame.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Jetant un coup d'œil à Lucas elle ajouta, ne t'inquiète pas, tu peux parler librement.

— On m'avait dit que vous étiez en danger parce qu'il vous poursuivez, je constate qu'il n'en est rien. En revanche, le roi Pierre a lancé ses gardes à vos trousses. Je crois avoir pu les devancer, mais ils suivent ma trace. Comprenez-moi ! Je ne pouvais pas faire demi-tour une fois dans la forêt, je ne pouvais que venir jusqu'ici et...

— Là, là ! Calme-toi Tory !

Elle le fit s'assoir et s'accroupit, se mettant à sa hauteur.

— Sais-tu qui les mène ?

— Oui ma dame, il s'agit de Cédric Fremon.

Tiliana se mit à réfléchir à toute vitesse. Ce nom ne lui disait rien, mais mieux valait s'en méfier.

— Où étaient-ils la dernière fois que tu les as vus Tory ?

— A un jour de cheval, au Sud Ouest ! Oh Ma Dame ! Ils seront bientôt ici !

— Combien sont-ils ?

— Environ deux cents, très bien armés. Le roi a dépêché l'élite de sa garnison.

Lucas aussi était plongé dans ses pensées depuis l'intrusion du jeune garçon. Cela changeait tout ses plans. Les gardes d'Arcin allaient mettre en pièce la plupart des Sans Peuple. Les femmes, les enfants et les vieillards ne pourraient pas fuir. Il ne voulait pas cela.

— Très bien, dit-elle en s'adressant à Tory, tu vas rester ici quelques minutes et reprendre ton souffle. Dès que tu te sentiras mieux, je veux que tu t'en aille le plus vite possible. Retourne à Erramore, fais-toi discret pendant quelques temps. C'est compris !?

Tory approuva d'un signe de la tête. Tiliana sortit un couteau et s'approcha de Lucas, d'un geste agile, elle trancha les liens qui retenaient toujours ses mains.

— Partez d'ici, allez retrouver les vôtres. C'est pour vous qu'ils viennent. Ce fut un plaisir de vous avoir connu, Lucas d'Arcin, et une erreur de ne pas vous avoir laissé assommer dans cette maudite foret. J'espère que vous vous rappellerez de ce que vous avez vécu ici, car cela vous aidera assurément à devenir un grand roi.

Ne lui laissant pas le temps de répliquer, elle sortit en trombe de la pièce, ouvrant en grand la tenture qui servait de coupe vent. Une corne d'alarme raisonna bientôt contre les parois de la montagne. Lucas se dirigea vers la sortie en massant ses poignets endoloris. La scène de vie paisible qui se jouait quelques heures avant n'existait plus. Les mères et les vieillards couraient, empoignant leurs enfants, les prenant dans les bras pour avancer plus vite, cherchant à rassembler une partie de leurs affaires dans des sacs assez légers pour être transportés. Les cris des soldats qui aboyaient des ordres se mêlaient à ceux des bébés qui pleuraient et à quelques aboiements de chiens qui s'élevaient dans l'air.

— Dans la forêt ! Hurlait Tiliana ! Allez à l'Est, dans les montagnes. Stephen ! Tu seras en charge de les guider ! Tous les Hommes à leurs postes de combats ! Nous devons les retenir !

Tory le bouscula en sortant, la peur brillant dans ses yeux, et s'enfonça entre les arbres. Dans le cahot ambiant, Lucas croisa le regard de Tiliana. Ses grandes pupilles noires étaient fixées sur lui. Une demi-seconde plus tard, elle disparut derrière l'une des maisonnettes. Lucas sortit enfin de sa transe. Apercevant un cheval attaché non loin, il courut vers lui, l'enfourcha, et l'éperonna. Personne ne l'arrêta dans sa course effrénée entre les arbres.

Il n'eut pas à chevaucher longtemps, à peine une demi-heure, avant d'apercevoir ses hommes.

Cédric Fremon était en tête. Lucas s'arrêta à quelques mètres du bataillon, et les soldats, qui l'avaient reconnu, le saluèrent avec respect.

— Mon Prince ! Quel bonheur de voir que avez réussi à vous en sortir. Avez-vous attrapez la fille ?

— Pas exactement non. Je suis heureux de vous voir aussi.

— Et le campement des rebelles Sans Peuple ?

— Oui, je l'ai trouvé.

Lucas aurait aimé leur dire qu'ils ne pouvaient pas attaquer maintenant, qu'il valait mieux faire demi-tour. Il repensait à ces gens. En à peine quelques jours, il avait pris la mesure de la paix qui régnait parmi eux. Ils ne cherchaient pas le conflit. Ils avaient seulement laissé éclore ce besoin de liberté qu'il avait sentit chez les enfants de la zone noire. En ce lieu ils n'étaient plus des moins que rien, traités comme des animaux. Mais sa raison et son devoir envers son pays devaient l'emporter. Il était le Prince d'Arcin, futur régnant. En tant que tel, il devait respecter les décisions de son père, et le soutenir dans ses choix.

— Votre Altesse, avez-vous vu leur campement ? Comment devrions-nous procéder ?

— Je connais leur position, mais je n'ai pas pu étudier leur système de sécurité, mentit-il sans sourciller.

— Très bien. Accepteriez-vous de prendre la tête de l'expédition, après tout, cette place vous revient.

Cédric avait susurré cette phrase avec ce ton perfide qui était le sien lorsqu'il s'adressait à Lucas, et ce dernier fut aussitôt sur ses gardes. Il n'avait aucune confiance en ce capitaine, mais c'était un bon meneur d'hommes. Voilà l'unique raison qui lui permettait de le tolérer.

— Effectivement. Il est heureux que vous vous en souveniez.

Cédric s'écarta en grinçant des dents, pour lui laisser mener l'allure.

— Soldats d'Erramore, s'exclama Lucas en s'adressant à ses hommes, nous allons attaquer les rebelles de front. Le but n'est pas de les massacré, ni de piller cet endroit qui ne regorge d'aucune richesse, vous avez compris ! Faites des prisonniers, ils nous seront plus utiles que les morts.

— Mais enfin Mon Prince ! Nos ordres en provenance du palais étaient clairs ! Nous ne devons pas faire de prisonniers, s'indigna Cédric.

— Et bien mes ordres sont tout aussi clairs, et vous feriez bien de faire en sorte de les respecter, Capitaine, répondit Lucas, d'une voix menaçante.

Cédric le défia du regard un moment, des éclairs dans les yeux. Il haïssait ce petit avorton de prince qui le rabaissait sans cesse. Si seulement il avait ressemblé à son père, mais non, il avait des idées beaucoup trop romantiques à son goût pour prétendre à gouverner un pays. Mais il ne pouvait rien y faire, pour le moment.

— Bien, je vous mènerai à la bataille ! Suivez-moi ! en avant ! Ordonna-t-il, brisant de ce fait le silence qui s'était installé.


Tiliana d'Ovra - Les Sans PeupleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant