Chapitre 17 : Ils sont juste paumés

70 18 39
                                    


L'ambiance était complètement folle dans les fins fonds des souterrains, lieux particulièrement connus pour ses nombreux bars où l'alcool coulait en abondance. Les nombreuses nouvelles du journal officiel semblaient avoir bousculé les habitudes et provoqué l'hystérie générale.

Les jeunes, habituellement si calmes, se retrouvaient dans des états pas possibles. Aucun ne semblait marcher droit. La musique était trop forte, il émanait des souterrains une odeur nauséabonde d'alcool et de vomis. Certains étaient à deux doigts de se battre pendant que d'autres vagabondaient aléatoirement, le regard triste. Devant ce misérable spectacle Ruz répétait ces mots en boucle :

-Ils sont devenus complètement fous.

-Ils sont juste paumés. Laisse-leur un peu de temps, lui disait Eil pleine de compassion.

-Si l'interdiction du culte des arbres les déstabilise tant que ça, ils feraient mieux de prier plutôt que de boire.

-Ils sont perdus, lui répétait Eil.

Sur le visage de Ruz on pouvait lire une profonde déception. Il regardait ses congénères avec un mépris difficilement dissimulable.

-RUZ ! RUZ !

Un pré-adolescent à la voix encore aiguë courait dans leur direction. Tout le portrait de Ruz, à l'exception de ses cheveux plus foncés.

-Mouk ? Qu'est-ce qui se passe ?

Le garçon s'arrêta à leurs hauteur, épuisé par sa course. Il pointa du doigt le couloir par lequel il venait.

-Une émeute ! Ils sont en train de tout casser !

-Ils viennent par ici ? Lui demanda son grand frère.

-Ils viennent de partout ! La garde royale n'arrive pas à les arrêter ! Ils sont complètement fous. Il faut qu'on rentre à la maison tout de suite !

Eil n'était pas étonnée que la garde royale soit une fois de plus incompétente. Elle tendit l'oreille. Le vacarme qu'elle mettait avant sur le compte de la fête s'intensifiait dangereusement. Des cris, des meubles qu'on explose contre les murs.

-Melen et Glas vont bien ? demanda Ruz à son petit frère.

-Ils sont déjà cachés à la maison.

Ruz mit sa capuche sur sa tête, prenant soin de cacher ses cheveux roux. Il fit de même avec son petit frère, qui protesta en disant qu'il n'était pas un bébé et qu'il pouvait le faire tout seul.

-Il manquerait plus que cette bande d'hystériques nous brûle vivant en sacrifice, ricana-t-il en faisant un regard complice à son frère. Bon. Gevier, on est bien d'accord que tu nous accompagnes ?

-Je ne comptais pas demander la permission.

-Tant mieux. Je ne demande pas ton avis non plus.

-C'est ton amoureuse ? le taquina Mouk.

-Assez parlé morveux ! contente-toi de courir.

Ils se mirent en marche rapide, s'éloignant du vacarme qui se rapprochait. À mesure qu'ils tentaient de fuir les souterrains, ils se trouvaient toujours plus piégés. Le mouvement de violence s'était démocratisé dans les tunnels.

Eil n'était pas terrifiée. Elle n'avait même pas un peu la trouille. L'adrénaline électrisait sa colonne vertébrale. Cette pulsion malsaine ne la dérangeait pas plus que ça. Elle avait déjà eu à se battre dans cette ville. Ses mots pouvaient mordre facilement et elle avait dû faire face à des représailles. Elle se débrouillait plutôt bien au corps à corps.

-Par-là ! proposa Ruz alors qu'ils commençaient déjà à s'essouffler.

Une jeune femme sortie de cette ouverture au même moment.

-Surtout pas ! Ils ont battu un mec à mort par-là !

La situation était beaucoup plus grave qu'ils l'imaginaient. La tension montait. La princesse était tout d'un coup un peu moins rassurée. Ils firent demi-tour et continuèrent à courir à l'aveugle. Les bruits étaient toujours plus proches. Eil cherchait à chaque coup d'œil une sortie, une cachette. Son regard s'arrêta dans un trou étroit dans le mur. Non ils ne passeraient pas par là. Ils suivirent un virage pensant être plus en sécurité de ce côté.

-Attention !

Eil plaqua les deux frères contre le mur. Au fond du couloir, une meute de gens en colère se dirigeait vers eux. Celui qui conduisait la marche avait le visage ensanglanté, un morceau de bois long et solide dans sa main, prêt à faire couler encore plus de sang sur l'écorce sur lequel il marchait. Tant pis il fallait le tenter.

-Rentrez dans ce trou !

-Je ne passerais jamais là-dedans ! protesta Ruz.

-Si la tête passe, tout passe, lui dit Eil en s'engouffrant dans l'étroit passage.

Elle passait difficilement à quatre pattes. Le bois était abîmé, plusieurs échardes s'enfoncèrent sous sa peau. Ruz fit passer Mouk dans l'ouverture puis entra à son tour péniblement. Au bout de quelques mètres à ramper dans le bois humide il fut tout simplement impossible de continuer. Un cul de sac. Ils restèrent immobiles là,à retenir leur respiration respective. La foule passa sans s'intéresser à leur cachette et les cris s'éloignèrent.

-Ils sont partis, chuchota Ruz.

-On ressort ? demanda Mouk, la voie tremblotante.

-Je ne sais trop les garçons, avoua Eil. Peut-être vaudrait-il mieux attendre ici que ça se calme.

Ruz se dégagea, faisant abstraction de l'avis de Eil.

-C'est mort. Je ne reste pas une seconde de plus dans ce piège à rats.

Mouk fit de même. Une fois à l'extérieur du trou il prit soin de s'étirer.

-De toute façon maman nous attend. Elle doit s'inquiéter maintenant.

-Visiblement je n'ai pas le choix, soupira Eil en sortant de la cachette.

La violence était encore présente dans l'air. Fuir au plus vite était toujours au programme. Ils se dirigèrent vers le couloir qu'ils avaient tenté d'emprunter plus tôt. Eil qui avait tant rêvé courir quand elle était au palais était gâtée. Parmi les meubles cassés, les plantes piétinées, la meute avait laissé un graffiti sur les murs « Mort à la reine ». Eil se doutait que cette menace s'étendait à toute la famille royale. Il fallait vraiment qu'elle sorte d'ici. Les bars et autres commerces étaient saccagés. Quelques vandales continuaient à se disputer la possession de divers objets.

-Il y aune sortie de ce côté-là, fit le petit frère.

Un vent doux s'engouffrait dans le tunnel. Eil aurait pu trouver l'ouverture les yeux fermés. Ils y arrivèrent sans nouvelles encombres. Les délicieuses odeurs de l'immense forêt chatouillaient leurs narines. Tout était plus calme là-haut. La colère n'avait pas atteint les cimes. Eil avait eu assez d'émotions pour la nuit. La situation avait suffisamment dégénéré comme ça. Il était temps qu'elle rentre chez elle.

-Ça a l'air plus tranquille ici. On pourrait peut-être se séparer là ?

Une branche craqua. Venant des souterrains dont ils venaient de s'extirper. Les trois compagnons se retournèrent et se retrouvèrent nez à nez avec un gosse en robe de cérémonie verte. Un enfant de cœur ? Il avait le regard coupable, comme s'il avait fait une bêtise. Avait-il peur d'eux ? Les prenait-il pour des vandales ? Mais que faisait-il dans ces tunnels ?Il déguerpit dans les souterrains avant que l'un d'entre eux ne puisse ouvrir la bouche.

-On habite juste à côté, dit Ruz, inquiet. Ça serait mieux si tu venais avec nous je pense.

Devant l'air grave de son nouvel ami, Eil dû se résoudre à hocher la tête.

-D'accord.

Ils partirent entre les branches. La princesse suivait Ruz à quelques pas derrière. Elle fixait sa nuque en se demandant ce qu'il savait réellement d'elle.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant