Chapitre 51 : Petite ingrate

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Clairement Ael avait quelque chose de pressant à dire.

-Je vous rejoins dans une minute père.

-Très bien, je te garde une place. Je dirais à ta grande sœur que tu es arrivée.

Il retourna à sa place pendant que Eil retrouvait son ami.

-Qu'est ce qui se...

-Il faut qu'on parle c'est extrêmement important, la coupa-t-il.

Il attrapa la princesse par l'avant-bras et la tira dans une pièce à côté de la salle de cérémonie qui contenait des outils de jardinage. Eil était étonnée que son garde ait autant de force. Il étala les papiers sur le sol.

-Regarde !

-Ce sont les dossiers sur les éléments perturbateurs du fluide que tu attendais ?

-Il ne faut pas abattre l'arbre des dieux !

-Je sais que c'est difficile à admettre, mais on n'a pas le choix si on veut éviter une révolution. Je sais bien que ça compte pour toi mais...

-Regarde ! la coupa-t-il de nouveau en lui montrant les documents froissés.

Eil se pencha sur les feuilles et le lut en diagonale. Cela lui suffit à être terrifiée.

Elle devait retrouver sa mère. Là. Maintenant.

« Mon père a dit que la reine descendrait. C'est donc qu'elle est en haut ».

La meilleure vue sur l'arbre des dieux était incontestablement le jardin le plus haut du palais : le jardin de Brav.

Eil se préparait à sortir de la petite salle de jardinage. Elle sentait les veines de ses tempes battre. Tout son corps était sous tension. Sa frustration avait atteint un point de non-retour.

« Quoi que je fasse il est sans doute trop tard ».

Elle devait aller plus vite que le temps, le rattraper, le dépasser. Mais son statut de demi-déesse ne lui permettait pas de telle prouesse. Tant pis, il fallait le tenter, prier pour qu'il ne soit pas déjà trop tard, prier pour arriver à temps et convaincre sa mère.

Dans la salle de cérémonie, la musique était lancée. Un air de violon s'échappait de la salle. Les portes se fermaient. En passant devant, elle eut le temps d'apercevoir Kentan dans sa belle robe verte, avec un bouquet de fleur dans la main. Quelques courtes secondes où son cœur se serra. Mais Eil avait fait son choix.

« Non. Je n'ai pas le choix en réalité. »

Elle repartit dans la direction opposée.

Courir une fois de plus avec Ael sur les talons qui cherchait à ne pas se faire distancer. Ils avaient les poumons en feu, les muscles des jambes élancés, leur gorge était sèche. À chaque moment entre les murs du palais ou sur les murailles ils hésitaient à prendre une pause, à reprendre leur souffle, mais à chaque fois ils luttaient pour aller toujours plus vite. Ils n'entrèrent pas dans le jardin de Brav par l'entrée officielle. Elle était sans nulle doute gardée. Ils firent comme la fois précédente, en passant par le labyrinthe des murailles du palais. À mesure qu'ils s'approchaient l'odeur devenait de plus en plus insupportable. Un odeur merveilleuse concentrée à l'extrême. Ael dû s'arrêter.

-Vas-y, lui dit-il dans un souffle, avant de s'effondrer sur le sol.

-Ael !

-Vas-y.

Eil ne pouvait pas se permettre de perdre du temps. Elle déposa un baiser sur le front du jeune scientifique puis hocha la tête et se détourna pour continuer son chemin. Ça serait seulement entre elle et sa mère dans ce cas.

« Si j'arrive jusque-là ».

En arrivant dans le jardin, elle fut prise de vertige. Le soleil couchant faisait scintiller toutes les plantes. Avec cette lumière, le jardin avait pris une teinte oranger. La princesse était incapable de courir. Elle était entrée trop vite dans le jardin, ses sens était agressés.

-Que fais-tu là ?

Premier objectif atteint : elle avait trouvé la grande reine.



-Je te retourne la question. Que fais-tu là ? Ton héritière se marie dans la salle de cérémonie.

« Non, je n'ai pas le temps pour les sarcasmes ».

Eil était déboussolée par la splendeur du jardin. La grande reine ne semblait pas plus déstabilisée que ça.

-Venons-en au fait, fit Eil. Tu ne peux pas abattre l'arbre des dieux.

-Ma fille est devenu une fanatique religieuse. Décidément l'air de Morglas n'aura pas suffi à te nettoyer le cerveau.

Eil était complètement déséquilibrée. Le soleil couchant l'empêchait de regarder sa mère directement. Les couleurs et les odeurs étaient trop fortes. Elle se concentrait de toutes ses forces pour ne pas s'évanouir.

-Non, mère, vous ne comprenez pas ! L'arbre des dieux est l'une des plus grandes sources de fluide mondiales. Si vous le déséquilibrez, vous risquez les pires des catastrophes !

La grande reine gifla la princesse avec une rare rage. Ce fut suffisant pour qu'elle soit projetée sur le sol.

-J'en ai assez entendu, pauvre sotte !

Eil peinait à retrouver ses esprits. Au ras du sol, le parfum enivrant des fleurs était encore plus fort.

-Vous ne comprenez pas... Les contes... Tous les contes. Il y a une part de vérité dedans.

-J'essaie de sauver nos têtes, espèce de petite ingrate.

Eil réussit à se redresser un peu. Puis elle se releva, les jambes qui tremblaient. Elle s'appuya contre un des arbres.

-Vos choix condamneront bien plus de monde. Vous ne comprenez donc pas ? Les eaux sombres à Morglas, la glace éternelle à Yenbras, les flammes dévorantes de Wezenn. Si vous déséquilibrez le fluide alors...

-Par les grands arbres, Eil ! Ce ne sont que des légendes obscures !

-Non, c'est bien plus que ça ! J'ai des preuves scientifiques à l'appui ! Laisser moi une chance de vous l'expliquer !

Eil criait maintenant. Il fallait que le reine l'écoute. Il le fallait !

-Tu veux qu'ils nous coupent la tête ? On n'a pas le choix, Eil. J'ai fait ce qu'il y a de mieux comme toujours.

Eil tomba sur le sol de nouveau, complètement sonnée.

-Donnez-moi une chance, s'il vous plaît. Laissez-moi juste 10 minutes. Reportez l'abatage de juste 10 minutes. Je ne demanderais pas plus.

« Je dois lui expliquer. Lui démontrer que c'est ce fluide qui donne son énergie à la planète. Qu'on ne peut pas lui couper une branche sans tuer tout l'arbre. »

Eil sortit péniblement les rapports scientifiques de sa poche. Ils étaient tellement froissés qu'elle se demandait s'ils étaient lisibles. Mais la reine ne la regardait plus, elle n'avait d'yeux que pour l'arbre des dieux.

-De toute façon, c'est déjà trop tard.

Eil n'avait jamais vu autant de tristesse dans les yeux de sa mère. Puis elle vu quelque chose de bien pire. L'arbre des dieux qui tombait. Des cris s'élevaient de la forêt. Elle entendit des ordres militaires sortir des haut-parleurs. Et l'arbre qui perdait racine. C'était trop tard.

Eil perdit conscience.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant