Chapitre 46 : Découverte culturelle

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Les messes des eaux sombres avaient stimulé la curiosité de Eil sur cet étrange royaume. Être une fille sage, qui restait gentiment au palais, lui avait suffi. Elle rêvait déjà de s'en aller en ville, dans les galeries de roche ou sur les îles habitées pour en découvrir davantage. Elle s'apprêtait déjà à partir quand on frappa à la porte. C'était Ael qui se plaignait que Gwarz et Archerien l'avaient forcé à prendre son poste.

-C'est dégueulasse. J'étais censé étudier les composants d'une rare algue provenant des abysses et me voilà à faire la nourrice pour une princesse super active !

-C'est d'autant plus choquant que je ne les ai pas vu à leur poste depuis environ deux jours. Mais je t'en prie, rien ne te force à jouer la nourrice. Ton poste se trouve devant ma porte, pas étalé sur mon lit !

-Tu n'as aucune idée d'à quel point ça peut être ennuyeux d'attendre devant une porte pendant des heures, des heures et des heures. Surtout qu'il n'y a pas moyen de savoir si tu es là ou à l'autre bout de Wezenn à faire la fête dans les galeries tant qu'on n'a pas ouvert la porte. Tu sais qu'une des cuisinières du palais de Wezenn est persuadée qu'un chat maléfique rode sur le palais ? On devrait en faire une théorie quantique qui s'appellerait le chat de...

-Si tu préfères aller en ville au lieu d'attendre devant ma porte rien ne nous empêche d'aller faire un tour, tenta Eil.

Ael se leva d'un coup du lit de sa princesse.

-Ah non ! Je n'ai jamais proposé de faire une chose pareille !

-Ça pourrait être amusant ! rajouta la princesse avec un sourire machiavélique.

-Non, non,non et non ! Il y a des émeutes partout en ce moment ! Ils rêvent tous de faire sauter la tête d'un noble !

-L'eau, le sable fin, une danse enivrée sur une plage doré !

Elle dansait dans la pièce.

-Votre altesse, il est hors de question que je mette un pied dehors !



-Bon on va où du coup ? demanda Ael en boudant.

Il s'était laissé convaincre, mais n'était pas convaincu par l'idée sortir en ville.

-Mais danser voyons !

Eil cachait que très peu ses caractéristiques royales. Une cape et un peu de fond de teint lui avait semblé suffisant.

-C'est complètement inconscient de visiter Morglas sans gardes.

-Mais Ael, tu es un garde !

-C'est officiel, je pense qu'il n'y a aucune chance qu'on survive à cette soirée.

Eil s'enfichait pas mal. Ce soir-là elle ne souhaitait qu'une chose : s'amuser. Ils trouvèrent une petite cabane sur une plage où beaucoup de jeunes faisaient la fête. Des lampions étaient installés sur la plage mais aussi dans l'eau. La musique était forte mais pas trop. Les jeunes buvaient des verres ou allaient s'éclabousser dans l'eau.

Eil et Ael faisaient tout de même attention à rester discret. Ils s'étaient installés à une table à l'ombre des lumières, un peu excentrée du reste de la soirée. L'idée était de ne pas se faire remarquer. Ael s'était occupé d'aller chercher les verres.

-De la Drammor. Apparemment c'est une spécialité ici, à base d'algues fermentées.

Eil sentit le breuvage.

-Ça ne donne pas confiance.

Ael avait les mêmes inquiétudes.

-À trois ?

-Un... Deux...

-Trois !

Le goût était à la fois trop sucré et trop amère. Un mystère de la nature. Eil faillit faire évacuer le tout par ses narines pendant que Ael crachait ses poumons.

-Vous êtes des touristes ?

Pour la discrétion, c'était raté. Mais comment mentir ? La peau des deux touristes était claire et l'apparence de Eil n'était pas vraiment humaine. Même leur accent était différent. Morglas était un pays conservateur et d'une moyenne générale peu de gens vivait dans des pays étrangers. Les transports n'étaient pas assez développés pour ça et certains modes de vie, comme les habitudes alimentaires, étaient presque impossibles à changer. Morglas avait fait importer une grande quantité de fruits pour nourrir convenablement Eil et ses trois gardes. Tor-pen et Feulst s'étaient facilement accommodés au poisson.

-Nous venons de Wezenn, avoua Eil sous les yeux ébahis de son ami. Voici Ael, garde diplomatique, et je suis Gevier, prêtresse du culte des arbres. J'ai eu l'immense opportunité de pouvoir étudier votre religion dans le cadre du mariage princier.

Même si à Wezenn les prêtres et prêtresses étaient loin d'avoir l'apparence de la famille royale, il n'y avait pas de raison que ce garçon soit au courant. C'était la couverture parfaite le temps de se sortir de là.

-Étudier notre religion ? Vous croyez vraiment en cette connerie ?

Le jeune homme s'assit à côté de la prétendue prêtresse. Il portait sur lui une puissante odeur d'algues. Longue balade en mer ou alcool ? Eil penchait pour la deuxième option. Elle était extrêmement étonnée qu'un habitant parle de la religion de la sorte. À ce qu'elle savait, ici la religion contrôlait tout et il semblait difficile d'imaginer qu'un jeune homme ayant grandi dans cet environnement puisse parler de la religion de la sorte.

-Je ne vous suit pas. Vous ne priez pas la force des océans ?

-C'est ça qu'on vous apprend à Wezenn ? Qu'une famille est bénie par la forêt et qu'ils ont tout pouvoir sur vous ? Vous voulez que je vous dise ? C'est n'importe quoi ! Ici, ils ont réduit considérablement le temps dédié à l'éducation, baissé un maximum les subventions dédiées à la recherche du lac sacré, fermé des journaux et la plupart des sources d'information, fermé les frontières, mais ils ne pouvaient plus nous cacher ça très longtemps avec les découvertes du monde scientifique.

-Je ne vous suis pas...

Ael était tendu. Très tendu.

-C'est du flan tout ça ! Ce ne sont pas des dieux ! Ces maudits prêtres ne sont pas bénis par le lac sacré pour les protéger eux et l'océan ! Ils n'ont aucune légitimité ! Ils contrôlent notre vie, nous manipulent pour assouvir leur soif de pouvoir ! Mais ils ne sont rien ! Rien de plus que moi !

Il commençait à s'énerver sérieusement. Ses cris attiraient ses amis.

-Fuloret ? Qu'est-ce qu'il y a ?

-Il y a qu'en face de moi, il y a une maudite prêtresse.

« Zut ».

-Ho, ho ! Qu'est-ce que tu fais là, ma mignonne ? Tu ne penses pas que c'est la mauvaise période pour faire une balade ? Il fallait venir il y a dix ans. Tu peux toujours rêver pour qu'ici quelqu'un s'agenouille devant toi.

« Zut ! Zut ! ».

-C'est une prêtresse de Wezenn, rajouta Fuloret.

-Ho, ho ! On pourrait se servir de toi, ma mignonne, pour faire un exemple auprès de cette satané famille royale.

« Zut ! Zut ! Zut ! ».

Eil se leva et poussa le plus loin qu'elle put les deux hommes. Ils se retrouvèrent deux mètres plus loin. Fuloret se tenait difficilement les cotes en gémissant.

-Prêtresse ! hurla son ami au sol en pointant Eil du doigt.

Toutes les personnes présentent sur la plage se retournèrent.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant