Chapitre 8 : Le fruit des dieux

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Eil était retournée terminer ses devoirs dans sa bibliothèque. Sa grande sœur avait beaucoup de choses à régler avant le soir. Sur le chemin pour retourner à sa chambre, Ael se tourna sur un des nombreux tableaux muraux qui se trouvaient dans le couloir. Il s'arrêta net sans penser une seconde au souhait de la princesse exténuée par sa journée.

-Ah tiens, des fruits des dieux ! gloussa Ael.

-Comment ça ?

Ael désigna le tableau qu'il regardait. En bas du cadre, une corbeille de fruits était dessinée. Ronde et dorée.

-Vous ne connaissez peut-être pas. Il s'agit d'une drogue très reconnue en ville, bien que presque impossible à obtenir. J'ai entendu dire que c'était parce que vous en mangiez toute la journée que vous ressemblez à des dieux. C'est amusant de retrouver une image de ce fruit ici.

Eil caressa sa nuque où se trouvait, inséré sous sa peau, ce qui la rendait aussi spéciale. Elle-même ne savait pas ce que c'était, mais elle se doutait que ce n'était pas juste un petit bout de fruit.

-Tiens. C'est votre famille ?

Le tableau en question représentait la famille royale effectivement. La grande reine assise sur son trône, le roi à ses cotés debout et les trois sœurs agenouillées devant eux.

-Oui, c'est bien ça. Nous étions petites à l'époque, dit-elle en se désignant elle et ses sœurs. Regarde, Trede n'est même pas assez grande pour marcher.

-C'est un joli portrait de famille.

Eil prit un seconde pour observer les visages peints sur cette toile. Aucun ne souriait.

-Ne te fis pas aux apparences. Nous n'avons jamais posé ensemble pour cette peinture. Le peintre a juste reçu des photos et s'en est inspiré.

Ael lui posa une question qui le tourmentait depuis le début de la semaine :

-Vous ne vous entendez pas avec la princesse Trede ?

-Pas vraiment non. Essayez d'avoir une conversation avec elle et vous comprendrez. Si déjà elle vous répond vous auriez de la chance.

-Je ne comprends pas...

-Si tu veux tout savoir, elle a un manque d'empathie profond. Tes larmes ne lui provoqueraient rien. Elle se contenterait de t'observer comme une bête curieuse. Ses phrases sont toujours courtes et formelles. Je sais bien qu'elle est encore jeune, qu'elle a grandi dans un environnement peu favorable mais.... C'est au-dessus de mes forces. Elle me rappelle trop ma mère.

-Peu favorable ? J'aimerais beaucoup vivre dans un château moi aussi !

Eil s'arrêta. Il avait dit cela avec un ton tellement enjoué.

-Dites-moi, garde, vous est-il arrivé de manger en famille, de jouer avec vos frères et sœurs, d'aller courir dans les arbres avec vos voisins ou encore de partager votre classe avec vos camarades ?

Ael se tendit, conscient de son erreur.

-Oui, votre altesse.

-Tant mieux pour vous parce que moi non. Par contre, avez-vous été élevé par une dizaine de domestiques différentes et par une vingtaine de professeurs ? N'avez-vous jamais connu l'amour de vos parents ?

-Non, votre altesse.

-Tant mieux pour vous parce que moi oui. Avez-vous déjà eu le choix de votre destinée ? De votre mariage ? De votre...

-C'est bon, j'ai compris, Eil.

Son regard s'était durci. Il fixait la princesse avec un mélange de rage et de tristesse. Ce fut au tour de Eil de comprendre son erreur. Elle venait de vexer profondément son seul ami. En seulement une semaine ? Record battu. Elle n'avait pas cherché à le blesser, ce n'était pas l'intention. Elle s'était sentie attaquée et avait répondu, sans prendre en compte les conséquences. Un réflexe. Elle était tout le temps sur la défensive et Ael en avait payé le prix. Elle sentit les remords électriser sa colonne vertébrale. Qu'avait-elle fait ?

-Je... Je suis désolée, Ael. C'est sorti tout seul, je ne voulais pas te blesser.

Mais il ne lui répondit pas. Il passa devant elle et lui ouvrit la porte de sa chambre en grand.

-Je vous souhaite une bonne soirée, votre altesse.

Il regardait obstinément un point invisible droit devant lui. Droit, froid, professionnel. Tout ce que Eil ne voulait pas de lui. Elle resta quelques secondes en face de lui, sidérée par sa propre bêtise. Elle traversa la porte, une boule dans l'estomac.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant