Chapitre 36 : Fil à coudre et confidences

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Toc toc.

La couturière supplia Eil du regard de ne pas laisser cette personne entrer.

-Qui est-ce ? demanda Eil.

-Kentan.

Il y avait peu de chance qu'elle fasse un scandale à son tour.

-C'est bon.Entre.

Kentan semblait encore plus préoccupée que sa cadette. Elle tournait autour de sa sœur en lui promettant que tout allait bien se passer, que cette cérémonie était juste une formalité, que Pesked avait une bonne réputation, qu'il était apparemment très gentil pas comme son fiancé Feulst qui la prenait pour sa propriété personnelle, qui était violent et qui prenait sur lui uniquement pour que le trône de Wezenn ne lui passe pas sous le nez.

Eil était étonnée de ces confidences. Elle avait rarement vu Feulst. Il se tenait droit, avait le regard dur et ne posait jamais les yeux sur Kentan. Pourtant il était doux au début. Il avait même offert une pierre mauve de leur fameuse mine de Yenbras aux deux petites sœurs de Kentan. Avec un sourire. Un large et grand sourire qui semblait sincère. Quand les fiançailles officielles avaient été annoncées il avait arrêté de sourire. Il avait arrêté d'être charmeur. Bas les masques ! Le trône lui appartenait déjà.

-Il est arrivé, c'est ça ?

-Oui, avoua Kentan. Toute la cour s'est empressée d'aller saluer leur futur roi. Ça me dégoûte.

-Je comprends mieux pourquoi tu te mets dans tous tes états. Espérons qu'il rentrera bientôt chez lui pour se faire traquer par des ours blancs. Avec un peu de chance il ramènera sa sœur, Tor-pen, avec lui. Il était obligé de venir ? La journée était déjà suffisamment malsaine comme ça.

-C'est déprimant, mais oui, il serait venu dans tous les cas. Beaucoup de contrats importants se jouent sur votre union. En tant que futur roi, il est concerné. La diplomatie l'oblige à venir. Il a pris part aux négociations de ton mariage lui aussi car...

Eil se tourna d'un coup sec vers sa sœur, ce qui fit sursauter la couturière qui avait bien failli planter son aiguille dans la princesse.

-Tu as participé toi aussi aux négociations ?

Eil ne voulait pas croire que sa sœur qui se trouvait dans des fiançailles épouvantables ait pu orchestrer le mariage de sa petite sœur. Avant même que Kentan puisse s'expliquer Eil se sentait déjà blessée, déçue. Comment sa sœur, avec qui elle était si proche, avait pu lui faire ça ?

-Non... Bien sûr que non, se défendit Kentan. Mère n'aurait jamais pris le risque de me prendre dans le comité de négociation. Elle sait à quel point je tiens à ton bonheur.

Eil se remit à respirer. Elle était beaucoup trop réactive.

-Votre altesse, se serait si terrible de rester sans bouger pendant une minute ? demanda une couturière qui commençait à s'énerver.

Décidément, même le petit personnel oubliait l'étiquette. Pesked avait raison, il y avait un vrai manque de discipline dans ce palais. Eil aurait pu en rire si la journée était moins fataliste.

-Pourquoi faire ? Vous avez fini la robe. Bravo elle est magnifique.

-Mais pas du tout ! J'ai encore à finir l'ourlet et il manque des retouches au niveau des hanches !

-Bravo, elle est magnifique. Sortez.

La couturière et ses collègues remballèrent leurs affaires en quelques secondes, extrêmement contrariées de ne pas pouvoir faire leur travail dans de bonnes conditions.

-Je t'ai connu plus sympathique avec le personnel.

-Elles ont passé une bonne heure à me répéter combien j'avais grossi et que ça allait être difficile d'arranger tout ça dans les temps. Revenons aux choses sérieuses. Pourquoi Feulst aidait le comité de négociation et pas la future grande reine ?

-Te rappelles-tu de mes négociations pour mon mariage ?

-Tu veux dire quand mère était mille fois plus exécrable qu'aujourd'hui et que père avait triplé ses voyages diplomatiques depuis ?

Eil se rappelait clairement des rares fois durant ces années où elle avait vu ses parents. Les discutions avec sa mère se finissaient souvent avec une violente dispute. C'est aussi à cette époque que le cas de Trede était devenu irrattrapable. Elle ne parlait plus à personne et s'isolait constamment.

-Oui, c'est ça. Mère n'avait qu'une obsession à cette époque : les mines de Yenbras. Apparemment le roi de Morglas en a fait une priorité dans les négociations. Feulst lui a offert des droits de douanes exceptionnels contre ton mariage.

Pourquoi ? Pourquoi tant de poids dans les négociations ? Yenbras n'était pas un pays riche, leurs pierres précieuses n'étaient pas si précieuses que ça. Leur royauté était attaquée de tous les côtés. Les coups d'État, les assassinats étaient fréquents, dus à une famille trop nombreuse qui se bagarrait pour des miettes. Ils vendaient de la viande, un peu de cuir et quelques pierres.

Pourquoi une puissance naissante telle que Wezenn irait fiancer leur héritière à un pays instable et sans ressource ? Pourquoi Morglas, un royaume depuis toujours sur le devant de la scène, marierait un de ses aristocrates pour de vielles mines délabrées ?

-J'ai un truc à aller voir.

Eil avait les yeux dans le vide. Le contour d'un puzzle se créait dans sa tête. Elle était encore loin d'en avoir toutes les pièces, mais quelques images se formaient. Elle quitta sa chambre sous les protestations de sa sœur.

-Voyons c'est insensé ! Où vas-tu ? Tu te fiances dans moins d'une heure !

-Je ne serai pas longue, lui promit Eil.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant