Chapitre 58 : Cellules lugubres

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Comment avait elle fait pour ne jamais remarquer cette misère ces derniers mois ? Des arbres vides de leurs fruits, des habitations saccagées, les commerces fermés. À mesure qu'elle avançait dans les bois elle réalisa l'ampleur du désastre. Où étaient les jeunes qui à cette heure-ci peuplaient normalement la forêt ? Où étaient les petits fugueurs d'une nuit avides d'aventure parmi les cimes ? C'était une capitale si vivante d'habitude la nuit. Ce soir-là, elle semblait morte. Malgré cela, la grandeur et la beauté des arbres avait toujours de quoi fasciner.

Eil cherchait le contact avec l'écorce et les feuilles. Bien que les habitants se terraient dans leurs maisons, la forêt dégageait toujours une énergie enivrante. La brise légère lui amenait toutes les douces odeurs de la nature. Oh ! Comme elle aimait cette immense forêt qui couvrait tout la contré ! Comme elle avait aimé y vivre et s'y inventer un avenir ! Voilà une chose de plus qu'elle abandonnait. Deux aînés, deux héritiers allaient se marier. Devrait-elle vivre à Morglas ? Loin de son pays, comme prise en otage ? Avec comme seul lien avec son pays des enveloppes impersonnelles où elle pourrait contrôler le pays de loin ? Pesked la laisserait-elle gérer son pays après son évasion ?

« Pas le choix » se répétait-elle. En voyant la ville vide et triste cette affirmation ne prenait que plus de sens.

Elle traversa la forêt jusqu'au palais, laissant avec regret ses amis, sa nouvelle famille, son amour, sa forêt. Tout ça pour les protéger.



Ça faisait longtemps qu'Eil n'avait pas escaladé les murs de son palais. Elle aurait peut-être pu rentrer par l'entrée principale mais elle avait peur que les gardes de Morglas s'approprient sa capture. De plus elle voulait voir Pesked seul à seul pour discuter des conditions à suivre, se mettre d'accord sur certains points, le prendre au dépourvu.

À mesure qu'elle avançait sur les murailles elle se réappropriait celle qu'elle avait été. Elle s'était tellement rejetée qu'elle pensait ne plus être capable de revivre de simples habitudes qu'elle avait autrefois. Pourtant la voilà bien ici sur les murs du palais, à grimper comme elle le faisait avant.

« Peut-être que la vie à laquelle je me prépare sera plus douce que je ne le pense. »

Néanmoins la tâche était plus ardue que d'habitude car c'était les gardes de Morglas qui surveillaient le château. Ils étaient très disciplinés dans leurs taches, d'autant plus au vu des difficultés politiques actuelles.

Une nouvelle difficulté s'ajoutait à cela. Pesked semblait voir mis un point d'honneur à fermer à clé toutes les fenêtres du palais.Elle testa une vingtaine de fenêtres avant de trouver la bonne, celle qui la ferait entrer dans son ancienne maison. Elle connaissait cette pièce, elle y avait rarement mis les pieds. Elle aurait du pourtant.

Elle poussa la fenêtre avec le bout de ses doigts. Dans le lit de la pièce quelqu'un se redressa, puis dit de sa voix douce mais sans aucune tonalité :

-J'ai laissé la fenêtre ouverte au cas où tu reviendrais.

Trede.

Les deux dernières princesses de Wezenn étaient face à face.



Les yeux jaunes de Trede brillaient dans le noir. Un regard un peu morne, mais qui brillait tout de même. Eil entra dans la pièce aussi silencieuse qu'un loup en chasse. Son corps présent sur le lit de sa petite sœur était à peine perceptible. Elle glissa sa main sur la joue de Trede. Sa peau était chaude. Eil avait du mal à distinguer ses traits dans le noir. Trede imita le geste de sa sœur, sa main se posa aussi sur la joue d'Eil. Plus maladroite, moins douce, une pâle imitation d'un geste profondément sincère qu'elle ne reproduisait pas à la perfection. Mais une chose était sûre : elle donnait en ce moment même tout l'amour qu'elle pouvait donner.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant