Ruz sortit quelques pièces pour payer le restaurateur. Son orgueil semblait avoir été malmené par sa honteuse défaite. Arriver une longue minute après son adversaire sur un trajet de dix minutes, on peut effectivement qualifier ça de « honteux ». Surtout quand on se présente comme un excellent grimpeur. La jeune fille qui disait s'appeler Gevier lui fît cette remarque. Comme réponse, elle n'eut le droit qu'à un grommellement plaintif.
-Au moins, je sais maintenant que tu es bel et bien une campagnarde pure souche, annonça-t-il. Tu n'aurais pu me battre si tu n'avais pas vécu dans des lieux où la forêt est beaucoup plus dense qu'ici. Le pauvre citadin que je suis n'avait aucune chance hélas !
-Je vois, cette course n'avait pour but que de me démasquer. Félicitations, tu es un véritable génie du mal...
Elle fît un bond en arrière, terrifiée. Le restaurateur venait d'ouvrir son four pour y enfourner des galettes de fruits, quelques flammes s'en étaient malencontreusement échappées.
-Ah, les campagnards ! Superstitieux à souhait, n'est-ce pas ? ricana Ruz.
Le feu. Sans doute la plus grande peur du pays. Une étincelle peut détruire une maison, une ville ou le royaume. Une étincelle, ce sont des milliers de morts, de grandes migrations, de la souffrance. Le feu, c'était une arme de guerre qui a tué des millions d'arbres et des milliers d'hommes. Les enfants en avaient peur, les adultes aussi. Même le restaurateur qui travaillait avec toute la journée semblait s'en méfier.
-Et toi tu en as pas peur, peut-être ?
-Bien sûr que si mais... Je ne sais pas. C'est à cause de mes cheveux roux sans doute. On m'a toujours dit que j'avais des cheveux de feu. Bon, ce n'était pas facile tous les jours à l'école et encore aujourd'hui des vieilles dames essaient de me cracher dessus, mais j'y suis attaché. J'ai même réussi à faire croire à mes camarades de classe que j'avais des origines royales quand j'étais petit. Je leur disais que j'étais un lointain cousin ou je ne sais plus quoi et que ça expliquait l'étrange couleur de mes cheveux.
Le restaurateur posa les galettes de fruits sur le comptoir pendant que les deux clients se léchaient les babines. Migrabeilles, piyis sauvages, graines de tournelune et une demie damavaloù rouge cuite dans de succulentes épices et d'huile de froisier.
Les deux compagnons firent une rapide course verticale, en direction des cimes des grands arbres afin de continuer leur conversation sous le ciel étoilé. Sans surprise, Gevier gagna de nouveau. Leurs encas s'étaient peu à peu refroidis dans leurs mains qui ne leur avaient pas servies à grimper. Ils s'installèrent sur une branche dans les hauteurs. Assis sur de la mousse, les jambes se balançant dans le vent, ils avaient le sourire aux lèvres. Heureux, tous simplement.
Gevier se félicitait de sympathiser avec quelqu'un. C'était tellement rare, tellement inattendu pour elle qui ne cherchait plus à se faire des amis. En y repensant, elle n'en avait jamais vraiment eu. Juste quelques personnes de passage avec qui elle n'avait pas eu le temps de créer quelque chose de fort. Elle avait bon espoir qu'une amitié commençait là. Elle s'en donnerait les moyens, se promit-elle.
Ils mangeaient silencieusement, profitant de l'instant présent, sans ressentir le besoin de parler. Elle gratta son cache-joues plusieurs fois, comme si elle souhaitait l'enlever mais elle n'en fît rien. Autre chose commençait à la démanger terriblement. Ce début d'amitié pouvait peut-être apaiser sa curiosité dévorante. Les remords commençaient déjà à pointer le bout de leur nez. Ne pouvait-elle pas se contenter de l'instant présent ? Pourquoi ne pouvait-elle s'empêcher de voir en lui une possibilité de l'exploiter, de le manipuler ? L'habitude sans doute. Ne tenant plus, elle lui demanda :
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Lorsque Les Arbres Auront Des Crocs
ФэнтезиEil, princesse cadette de Wezenn, aurait préféré vivre dans la merveilleuse forêt où vit son peuple plutôt que dans le palais où la solitude la pèse tous les jours un peu plus. Qu'à cela ne tienne, elle ne laisserait plus sa vie entre les mains des...