Chapitre 5 : La bibliothèque

116 22 67
                                    

La petite bibliothèque privée de Eil était, comme à son habitude, particulièrement désordonnée. Des livres jonchaient le sol, laissant les poussiéreuses étagères à moitié vides. Des boulettes de papier se promenaient au gré du vent face à la multitude de fenêtres ouvertes. La tête penchée sur son bureau dans le coin le plus sombre de la pièce, elle s'adonnait à ses devoirs hebdomadaires. À peine visible, une longue plume semblait voltiger entre l'encrier et la feuille avant de glisser à une rapidité époustouflante sur le papier. Les lettres se traçaient gracieusement, se posaient délicatement sur la feuille déjà noircie de moitié.

Ael, qui ne connaissait absolument rien à la procédure, était entré avec la princesse dans la bibliothèque au lieu de l'attendre devant la porte. Il était resté une heure en garde-à-vous jusqu'à succomber d'ennui. À présent, il fouillait discrètement dans les étagères en quête de divertissement. Il fut bien déçu face à la multitude de manuels de macroéconomie, de gestion en cas de crise et de diplomatie internationale. Eil se retint de lui conseiller le tas de livres éventrés, destinés à l'art de l'étiquette. Cela faisait bien longtemps qu'il était impossible à lire, tant que les humiliations de sa mère l'avaient poussée à les déchirer, découper, marteler. Une légende raconte que plusieurs étaient passés par la fenêtre.

La reine, Rouanezh II, tardait à se montrer. Pourtant, elle n'avait que des réunions de dernière nécessité ce matin-là. Eil était en rogne. Elle n'aurait jamais dû préciser au secrétaire qu'elle attendait impatiemment la venue de sa mère. Eil savait que c'était de la pure provocation de la part de la reine. C'était une forme de punition pour ce qu'elle avait fait, se faire attendre le plus possible jusqu'à ce que Eil voit rouge. Pour qu'elle perde tous ses moyens contre elle lorsqu'elle serait là, aveuglée par la colère. À son grand désespoir, elle entrait dans son jeu. Ses feuilles se remplissaient de ratures, ses poings se serraient au rythme des minutes, son cœur battait fort dans sa poitrine et ses yeux sanglants se remplissaient peu à peu de rage.

Les heures défilaient, le soleil était au plus haut dans le ciel. Ael avait fini par s'installer au bord de la fenêtre à contempler les jardins lorsque son livre sur les grands conflits mondiaux du siècle dernier ne l'intéressait plus. La seule activité distrayante de la matinée fut lorsque Gwarz et Archerien, les gardes actuels de Eil, avaint fini par pointer leur nez dans la bibliothèque. Eil en avait profité pour évacuer sa colère en les réprimandant sèchement. Gwarz, un garde pourtant particulièrement arrogant, avait fini par quitter la pièce en larmes pendant que Archerien, un soldat dépassant les un mètre 90, tentait de se rapetisser un maximum en se collant dans un coin. Même Ael se sentait menacé face à ses mots dépourvus d'empathie. Il fut néanmoins satisfait lorsqu'Eil les incita fortement à faire pression sur leur chef pour garder Ael dans sa garde personnelle. Eil regretta rapidement sa crise et leur donna une journée de congé avant de retourner à son travail.

La grande reine finit par arriver. La porte s'ouvrit sans sommation. Ses pupilles jaunes fixaient un point invisible droit devant elle. Elle portait une gigantesque robe verte, couleur de la noblesse à Wezenn. Sa couronne, bien plus modeste, trônait sur le haut de sa coiffure blonde, diablement compliquée. Eil n'aurait su dire si sa mère était indifférente à la situation ou si elle était submergée de colère. Son état oscillait généralement entre les deux. La tête haute, une posture royale. C'était à se demander si elle avait déjà grimpé dans un arbre de toute sa vie.

Elle n'accorda pas un regard à sa fille. Elle marcha droit devant elle, en direction de la fenêtre où se trouvait Ael. Celui-ci se recroquevilla au maximum de ses capacités. La présence de la princesse le faisait déjà paniquer, alors la reine ! Que dis-je ?! La déesse dont les ancêtres sont nés de la sève des grands arbres sacrés ! L'offrande de la forêt, celle qui avait fait prospérer le pays, celle qui sauverait les grand bois du feu solaire selon les multiples prophéties sur sa famille ! S'en était trop pour l'apprenti garde. Sa respiration commença à accélérer. Il vit flou quelques instants, puis tomba à la renverse sur les fameux manuels de l'étiquette. Pourtant, la reine n'en avait rien à faire de lui. Elle fixait la forêt au loin et ne battit même pas des cils lorsque qu'Ael s'écrasa sur le sol à quelques centimètres d'elle. C'est comme il n'existait pas, tout simplement. Elle ne lui apporterait pas plus d'importance qu'à un insecte.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant