Chapitre 22 : Entre les murs

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-Il est déjà là ? S'étrangla Eil.

« Ce n'est pas possible ! Quel cauchemar ! »

Elle commençait à paniquer. Une boule de stress se créa dans son ventre et elle avait du mal à respirer.

« C'est trop tôt ».

Eil ne s'était pas du tout préparée à cette annonce. Elle se sentait comme une grenade, prête à exploser. Tor-pen soupira exagérément.

-Trede... Tu as encore beaucoup de choses confidentielles à divulguer ? Il s'agissait d'une information secret défense !

-Non, je n'ai plus rien à dire.

-Encore heureux !

-Ah si. Eil a dit qu'elle ne pouvait pas te saquer et Kentan t'a invité pour des raisons diplomatiques.

S'en était trop.

-Par les grands arbres, tais-toi Trede ! Cria Eil.

Les filles sursautèrent sauf la concernée qui se contenta de cligner les yeux comme si ça ne lui faisait ni chaud ni froid.

Eil se leva avec empressement, emportant la lettre avec elle. Elle quitta le jardin en claquant la porte. Son fiancé était là, entre ces murs, dans sa maison. Ce garçon qu'elle n'avait jamais vu, jamais rencontré. Et qu'elle allait épouser. Cet homme qui lui avait écrit, qui avait posé des mots sur du papier pour cette fille qu'il ne connaît pas, dont presque aucune information était disponible tant elle avait été mise à l'écart. Lui, cette personne avec qui elle devra un jour partager sa vie était peut-être au croisement de ce couloir. Ça lui donnait envie de vomir. Elle ressentait déjà le puissant désir de s'enfuir dehors entre les arbres. Visiblement la soirée dernière ne lui avait pas servi de leçon. Elle repensait à Feulst, le fiancé de Kentan, qui la frappait. À Rouanezh, la reine, avait promis de la protéger. Mais qui la protégerait elle quand elle sera partie vivre à l'autre bout du monde ? Loin de ces arbres qu'elle aimait tant et qu'elle ne pouvait effleurer que quelques heures par mois.

-Eil ! Attends-moi !

La cadette se retourna. Kentan courait vers elle, la mine pleine de regret.

-Je suis désolée. Je pensais que c'était une bonne idée. Dit-elle en lui désignant l'enveloppe. J'ai fait une erreur je te présente mes excuses les plus sincères.

-C'était une bonne idée en soi. Ça aurait dû être amusant. Excuse-moi pour mon comportement. C'est le trop plein d'informations, ça m'a grillé le cerveau.

Kentan la prit entre ses bras.

-Je sais qu'il s'agit pour toi d'une période difficile, je l'ai vécu moi aussi. J'essayais de dédramatiser un peu la situation pour toi. Je me disais que ça pourrait rendre ça excitant plutôt que le rendre comme un fardeau. J'ai entendu dire que c'était un garçon très gentil tu sais.

-Ce n'est pas de ta faute. Je suis désolée.

L'héritière caressa l'étrange chevelure rouge de sa sœur.

-Parfait l'incident est clos. Enfin presque. Quelqu'un d'autre attend tes excuses tu ne penses pas ?

-Trede ? Elle s'en fiche comme toujours. Ce que je lui ai dit ne l'a ni blessé, ni même égratigné son petit cœur.

-On ne peut pas en être sûr. Elle ressent forcement quelque chose. Mère était pareil quand elle était jeune et elle exprime bien mieux ses émotions maintenant.

-De la rage et du mépris, merci bien !

-Ça reste des émotions. C'est à nous de montrer à Trede le chemin. Nous sommes ses sœurs.

-Quand j'avais onze ans elle m'a cassée le bras pour avoir un bonbon.

-Elle était petite. Elle ne savait pas ce qu'elle faisait et elle s'est excusée pour ça.

-Parce que tu lui as demandé. Elle a accepté en échange d'un paquet de bonbons si je me souviens bien. Elle ne ressent rien je te dis. Par contre moi si. J'ai un mal de crâne insupportable. Donc je vais aller me coucher. On se revoit bientôt Kentan.

Sans un mot de plus elle retourna à sa chambre. Ses gardes incompétents traînassaient derrière elle alors qu'elle ne demandait qu'à courir. Elle regrettait déjà ses mots. Une fois allongée dans son lit elle décida que s'en était fini des études. Elle avait d'autres choses en tête et son cerveau était déjà rempli jusqu'à ras bord de toutes les connaissances qu'on lui fourrait dans la tête depuis qu'elle était petite. Ses percepteurs n'allaient pas apprécier sa décision, ni sa mère d'ailleurs. Ce que lui avait appris le monde de dehors c'est que ce que contenait ses bouquins ne l'aidait en rien. Elle pouvait réciter l'intégralité des guerres recensées dans le monde ces deux derniers siècles, expliquer tous les mécanismes des banques centrales du continent de l'ouest ou encore comprendre sept langues et en parler cinq.

Cela ne permettait pas de se battre dans ce monde. Elle apprendrait autrement, voilà tout. Elle voulait en apprendre plus sur l'histoire de son pays, sur la biologie pour comprendre comment évoluent les plantes de son monde.

Elle se leva enfin, s'assit auprès de son bureau. Elle regrettait les paroles échangées avec ses sœurs malgré tout. Elle écrivit une lettre d'excuses à Trede puis à Kentan. Décidément, elle avait le don pour se mettre tout le monde à dos. Ses gardes, Tor-pen, Ruz, Ael, sa mère, ses sœurs. Elle avait l'impression de tout gâcher à chaque fois. Une larme coula sur sa joue. Se sentir seule une fois de plus. Pourtant elle avait l'impression de faire de son mieux. Elle essayait vraiment. Elle était trop sensible, s'énervait trop vite. Toujours sur la défensive, prête à rendre les coups.

« Tout le monde essaie de faire de son mieux » se dit-elle.

On reçoit tous des armes, des clés différentes et on fait du mieux qu'on peut avec. Dans son cas ce n'était pas suffisant. Les lettres d'excuses était un début se rassura-t-elle. Elle rajouta une note à Trede pour lui proposer de jouer à un jeu de société juste toutes les deux le lendemain. Ça ferait plaisir à Kentan.

La lettre de Pesked gisait à côté d'elle, l'implorant de l'ouvrir. Mais la princesse n'était pas d'humeur. Trop fatiguée, trop déprimée,trop occupée. Elle voulait régler d'autres problèmes avant ça,d'autres moins gros qui faisaient moins mal à la tête. Son premier ami avait été blessé par son sale caractère. Elle avait vexé Ael et à cause de ça il se faisait harceler par une bande de crétins qui faisaient vingt kilos de plus que lui. Il était trop fragile pour ça. Lui qui était venu au palais pour planter des fleurs. La situation avait déjà trop duré. Ça ne faisait que quelques jours mais c'était déjà trop. Elle se devait de le ramener auprès d'elle. Il y serait plus en sécurité. Elle prit la lettre avec elle et traversa sa fenêtre. Sa porte secrète, loin des obligations de la royauté. Étape une : Trouver Ael.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant