Chapitre 45 : Morglas

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Le dirigeable n'allait pas tarder à commencer sa descente vers la capitale de Morglas. Le voyage n'avait duré que trois jours. Trois jours à la limite du supportable. Trois jours dans un lieu confiné avec pour seule compagnie deux princes et princesses de Yenbras, son fiancé qui n'osait plus la regarder dans les yeux, des futurs beaux-parents qui travaillaient sans cesse et une multitude de cousins et d'oncles et tantes de Pesked mal intentionnés. Ses cousins se montraient très insistants, rêvant de rendre cocu leur prince. Les cousines l'ignoraient majestueusement et les oncles et tantes tentaient en vain de lui trouver des failles.

Le lever du soleil avait attiré tout le monde sur un côté du pont et Eil était allée à l'opposé, histoire de profiter d'un peu de solitude sans s'enfermer dans sa cabine. Elle avait notamment profité que Gwarz se reposait et que Archerien se sentait mal dans les airs pour être absolument seule. Elle regardait l'océan teinté d'une multitude de petites îles. Chacune d'entre elles semblait paradisiaque. Pourtant Eil n'était pas plus intéressée que cela. C'était trop plat à son goût et les quelques palmiers qui poussaient ici et là n'avaient rien à voir avec les arbres majestueux de Wezenn.

Elle essayait de comprendre quelle serait sa place à la cour de Morglas. Sera-t-elle évincée ici aussi de la politique ? Après tout,elle ne connaissant rien à ce pays. Devra-t-elle se contenter de faire des enfants et de la broderie ? La reine de Morglas semblait active, presque autant que le grand roi. Mais c'était sans doute parce qu'elle vivait déjà sur ces îles avant. Elle était l'héritière d'une grande île qui avait été annexée à Morglas pour son mariage. Dans presque tous les pays que Eil connaissait, il y avait un grand roi ou une grande reine qui gérait en grande partie le pays seul et le conjoint aidait parfois ou ne s'occupait que d'organiser la diplomatie. C'était le cas de son père.

Eil se doutait que le palais serait aussi vide que celui de Wezenn. Les troubles politiques les avaient probablement poussés à se séparer de la cour et de leur famille éloignée.

Voilà donc sa future vie ? Un palais vide à faire de la broderie ? Avec un mari toujours occupé, sans possibilité de s'épanouir autrement qu'en ayant des enfants et en faisant quelques voyages ?Elle ne se sentait apte ni pour l'un ni pour l'autre. Mais le pire à tout cela à ses yeux, c'était l'absence d'échappatoire. Elle devait sa survie dans le palais de Wezenn à ses fugues en ville, entre les arbres, dans les galeries.

-C'est beau, n'est-ce pas ?

La voix de Pesked. Il arrivait vraiment au mauvais moment.

-Sans doute. J'ai peut-être un peu trop le mal du pays pour m'en rendre compte.

Être honnête, ce n'était probablement pas une bonne idée. Mais elle avait déjà essayé de tricher sur ses sentiments et ça avait été un fiasco.

Il y eu un silence désagréable. Pesked cherchait les mots justes, mais il semblait n'en avoir aucun.

-Tu sais que je fais tous les efforts du monde pour que ça marche ?

Une goutte de colère dans une mare de tristesse. Il se rendait compte qu'il ne se sentirait sans doute jamais aimé par une femme qu'il aime en retour. Son cœur aurait pu se déchirer.

-Je sais.

La voix de Eil se brisa.

Pesked enfouit sa tête dans ses mains.

-S'il te plaît ne me fais pas ça, la supplia-t-il. J'ai vraiment fait en sorte que ça marche. J'ai vraiment essayé. Dis-moi quoi faire de plus. Je ne peux pas... Non je ne supporte pas l'idée de me sentir seul jusqu'à la fin de mes jours. J'ai déjà connu ça pendant trop longtemps.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant