Lorsque Les Arbres Auront Des Crocs

Chapitre 10 : Transfert

Le lendemain matin, Ael n'était pas devant la porte de la chambre. À sa place Gwarz et Archerien, pour une fois à leur poste.

-L'apprenti garde n'est pas là ?

-Non, il a été transféré dans le cadre de sa formation, lui répondit professionnellement Gwarz.

Eil aperçu un regard mesquin mal dissimulé d'Archerien. Il semblait tout dire. Ael avait demandé de lui-même à changer de poste. Son plan pour se faire pardonner s'était quelque peu compliqué mais il restait faisable.

Gwarz et Archerien semblaient déçus de ne pas pouvoir mettre leur larbin à bosser à leurs places. Cependant, ce petit embêtement n'était rien face à la satisfaction de blesser leur patronne. Le trio ne s'était jamais entendu. Une fois de plus ils prenaient un malin plaisir à humilier la princesse. Ce n'était pas la première fois et ça ne sera pas la dernière.

Cette semaine ses deux gardes permanents s'étaient rendu compte de la position privilégiée de l'apprenti et Eil ne doutait pas le moins du monde sur le fait qu'ils avaient commencé à répandre des rumeurs dans tout le château. Ces derniers jours, à maintes reprises, la princesse avait aperçu plusieurs domestiques glousser sur leur passage. Inventant sans doute une multitude de scénarios romantiques sur leur relation purement amicale. Et cela n'était qu'un exemple parmi tant d'autre.

-Nous vous conduisions à votre bibliothèque, votre altesse ?

-Non, inutile. Je viens juste vous demander de mettre votre armure de cérémonie tous les jours à partir de maintenant.

-Et pourquoi cela ?

Les regards des deux gardes se croisèrent et levèrent les yeux au ciel dans un commun accord. Aucun d'eux ne souhaitaient s'habiller de plein gré avec de lourds morceaux d'armure, préférant leurs confortables tuniques vertes et grises et leurs modestes épées.

-Parce que je vous l'ordonne, tout simplement.

Sur ces mots elle retourna dans sa chambre en claquant la porte. Pourquoi cherchaient-ils toujours à la contrarier ? Elle ne les avait pas toujours pris de haut pour les remettre à leur rang. Il fut une époque où elle avait su se montrer courtoise et bienveillante à leur égard. Mais ils étaient trop insupportables pour que cela dure. C'était la reine qui choisissait ses gardes et Eil se demandait si elle n'avait pas délibérément mis deux jeunes gardes arrogants, ayant des problèmes d'autorité dans le seul but de l'éloigner d'une position de pouvoir. Comment la reine pouvait être là, dans chaque aspect de sa vie, sans jamais vraiment y être ?

-Laisse tomber. Elle fait sa crise parce qu'elle s'est fait larguer par le gamin.

Quelques ricanements. Quand est-ce qu'ils comprendront enfin que les sens d'Eil sont extrêmement développés, notamment l'ouïe ? Ce n'est pas cette misérable porte de bois qui l'empêchera d'entendre leurs moqueries déplacées. Elle rouvrit la porte en grand, dans un élan de colère.

-Allez-vous changer tout de suite !

Elle ne prit pas la peine de leur dire une fois de plus qu'elle pouvait détruire leur carrière. C'était faux et ils le savaient. Elle se contenta donc de refermer la porte devant le visage ahuri des deux gardes.

Eil prit une douche de bonne heure, mis une nouvelle fois des vêtements intimidants. Sa couronne de deuil sur la tête, noire incrustée d'émeraudes, des vêtements sombres. C'était un grand jour pour elle. Les agendas de sa mère annonçaient une réunion avec elle, à une semaine de ses fiançailles officielles.

Une bonne heure après la fin de sa préparation, on frappa à la porte. Derrière elle se trouvait Denall. Sa cousine ainsi que la suivante de Kentan. Comme à son habitude elle était tout sourire. Eil ne s'attendait pas à ce que ce soit elle qui vienne la chercher. Une fois de plus elle fut estomaquée par la ressemblance flagrante entre elles-deux. Si ce n'est que Denall n'avait ni tatouage, ni un regard particulièrement étrange et ses cheveux était certes beaux mais d'une banalité défiant toute épreuve. Elle était belle sans être rayonnante. Elle était spéciale sans être étrange. Une humaine voilà tout. « C'est donc à ça que j'aurais ressemblé si je n'étais pas une princesse » se dit Eil en caressant sa nuque.

-Votre mère vous attend dans sa grande salle de réunion votre altesse.

Eil se tourna vers ses deux gardes insupportables. Ils portaient une sorte de casque vert sur la tête, qui étaient plus décoratifs que pour les protéger d'éventuels coups. Ils ressemblaient plus à des couronnes qu'à un élément d'armure. Ils portaient une longue cape grise et des épaulettes qui leurs donnaient une carrure plus imposante. Leurs tuniques étaient plus fournies de décorations et des mailles de fer recouvraient une partie de leur torse. Enfin une grande lance d'argent se trouvait dans leur main droite. Ils semblaient être le miroir de Eil. Sa couronne était noire, sa cape plus sombre que la leur, sa tunique rouge. Avec ces deux-là derrière elle, elle envoyait un message clair : avant d'être une princesse c'était une guerrière.

-Pour une fois vous avez fière allure. Félicitations.

Suivie de la gouvernante et des gardes elle prit la route vers la salle de réunion, déterminée à mettre la grande reine en rogne une fois de plus.