Chapitre III

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J'ignorais ce qui m'avait tirée de mon sommeil, mais je savais à présent que j'étais incapable de me rendormir.

Je battis des paupières sous la voûte céleste, voulus refermer les yeux pour me rendormir, cherchant la chaleur du petit corps de Nessimelle contre le mien. Earine et moi entourions notre petite sœur dans un cocon protecteur, comme à notre habitude, et j'étais du côté extérieur du cercle que notre petit groupe de voyageurs formions pour dormir. Devant moi s'ouvrait la forêt noire et ses arbres glaçants, mais je savais que cela effrayait Earine, alors je préférais être celle qui y faisait face.

Je remuais, incapable de reprendre les péripéties des personnages imaginaires que j'avais inventés durant notre marche. L'obscurité m'obsédait, et je savais que si je ne me contrôlais pas, mon imagination prendrait bientôt le dessus sur mes sens et je serais à la merci des créatures monstrueuses de mon esprit.

Avec un soupir agacé, je m'assis, ayant dans l'idée d'observer plus attentivement autour de moi pour me rassurer, lorsque j'aperçus un mouvement non loin. Je reconnus les cheveux blonds du prince avec soulagement. Il était assis sur un large rocher, me tournant le dos, veillant dans la nuit noire.

Un instant, je fus tentée de me rallonger et feindre le sommeil, mais je savais qu'il m'avait déjà repérée. Je ne parvindrais pas à trouver le sommeil, autant que mon insomnie me serve à quelque chose.

Je me levai, étirant mes jambes engourdies, et contournai les corps endormis de mes sœurs. Nessi était lovée contre Earine, qui, comme à son habitude, avait la bouche et les yeux à demi ouverts. Je gloussai silencieusement à cette vision. Aggur était étendu de tout son long, sa tête reposée sur un tronc d'arbre, ses doigts à quelques centimètres de ceux d'Earine. Je savais qu'ils se tenaient discrètement la main lorsqu'ils s'endormaient, comme s'ils avaient peur que je les découvre. Tauriel était blottie au creux d'un arbre, même dans son sommeil, ses sens étaient en alerte.

Je m'avançai vers le prince, m'assis à côté de lui. Il ne manifesta pas de surprise à me voir éveillée.

- Y a-t-il un seul mouvement que je fais qui vous échappe ? Demandai-je.

- Non, répondit-il calmement. Vous avez peut-être l'impression d'être silencieuse, mais vous avez grandi en voulant tromper des sens humains, pas elfique. Vous êtes bien loin de la discrétion, et vos sœurs encore moins.

Je poussai un soupir, me souvenant de cette discrétion silencieuse dont j'étais si fière à l'Auberge de la Lune, bien un des seuls talents que je semblais avoir.

Je regardai autour de moi.

- Où est Targen ?

Le prince Legolas me désigna un point dans l'obscurité du doigt. En plissant les yeux, j'aperçus la silhouette sombre de l'elfe qui se mouvait, plus indétectable qu'un chat noir. Il tournait autour de notre campement à distance respectable, la capuche de son manteau rabattue sur son visage.

- J'espère que vous savez ce que vous faites, déclara le prince.

- Que voulez-vous dire ?

Il me lança un regard indéchiffrable.

- Savez-vous seulement à quel point il est dangereux ?

Par "il", je savais qu'il parlait de Targen.

- Oui, répondis-je.

- Il pourrait vous tuer en une seconde. Ou même pire, si l'envie le lui prenait, dit-il.

- Vous ne lui faites pas confiance.

- Ce n'est pas cela.

J'observais son visage à la dérobée. Il était d'une beauté à se pâmer, et je savais tout à fait à quoi j'associais ce genre de beauté : le danger.

- Vous aussi, vous pourriez faire cela, répliquai-je.

- Mais je sais ce que je fais, nota-t-il.

Nous y étions donc. Le problème n'était pas les capacités de notre compagnon, mais l'instabilité de son esprit. Je me raclai la gorge.

- Legolas, nous sommes amis. Et bien que je ne sois pas très à l'aise avec le concept, je crois savoir que les amis se font confiance, n'est-ce pas ?

Il hocha la tête.

- L'esprit de Targen n'est pas fragile. Il est au contraire plus solide qu'un roc, mais rien n'empêche les rocs de se fissurer. Et lorsqu'un roc se fissure, il y laisse passer l'air. L'air de Targen est son passé. On l'a manipulé, placé des fissures dans son esprit, et il trébuche parfois dessus. Je ne fais que les refermer, expliquai-je le plus clairement possible.

Je savais que tout ceci était compliqué à comprendre.

- Mais ces fissures, tout le monde les a. Moi pas moins que les autres, dis-je avec un ricanement, songeant à l'instabilité de mes émotions. Et vous également. Nous en avons tous. Par exemple...

Je réfléchis.

- Nessi n'aime pas les eaux profondes. Elle sait nager, mais n'ira pas dans l'eau si elle n'y a pas pied. Lorsqu'elle était petite, elle est tombée dans un étang. Elle était assise à côté de moi à jouer lorsqu'elle a basculé en avant et est tombée dans l'eau. Je n'ai pas hésité une seconde et ai sauté à mon tour pour l'en sortir. Elle n'a plongé qu'une minuscule seconde, mais le mal était fait. Fissure, terminai-je en levant un index faussement savant.

- Cela ne change rien, répondit-il. Il n'en reste pas moins... Incontrôlable. Et, si je puis me permettre, ce n'est pas la seule chose qui m'inquiète.

Je haussai un sourcil.

- Je ne pense pas que vous vous en rendiez compte. Votre ami semble vous considérer comme... Son guide. Vous ne vous en rendez pas compte, mais je vous ai observés.

- Que voulez-vous dire ? Murmurai-je.

- Il gravite continuellement autour de vous. Ou que vous soyez, il adapte sa garde comme pour vous protéger d'un ennemi invisible. Je ne pense pas qu'il en soit conscient lui-même. On dirait plus... Un réflexe.

- Il m'a fait une promesse, celle de m'aider à reconquérir mon royaume dis-je. C'est sa manière de la tenir. Une fois sa dette acquittée, il cessera.

Et je réfléchissai, songeant à la jeune Elenwë. Peut-être qu'en l'absence de cette dernière, les fissures s'appuyaient sur moi et il les suivait donc ? Ou bien c'était tout simplement parce que j'étais la seule personne qu'il connaissait et que j'avais visiblement besoin de protection.

Le prince ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, puis la referma, le visage plein de remords.

- Et qu'arrivera-t-il si vous êtes attaquée ? Demanda-t-il. Par un ennemi... Ou par l'un d'entre nous ?

Je réagis aussitôt, maîtrisant le doute qui venait de m'envahir.

- Souhaitez-vous m'attaquer ? Dis-je, défiante.

- Non. Mais pendant vos entraînements au combat-

- Qui sont des entraînements.

Je poussai un soupir.

- S'il vous plaît, Legolas, faites-moi confiance. Il pourrait devenir mon ami, vous savez, dis-je avec un faux enthousiasme.

Il renifla.

- Dans ce cas, je le plains sincèrement, plaisanta-t-il.

J'éclatai de rire.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant