Chapitre XXV

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- Là ! S'exclama alors Earine.

Elle traversa la chambre en coup de vent, s'élança par une petite porte qui s'ouvrait sur un étroit escalier en colimaçon.

- Earine, non ! S'écria Aggur en se jetant à sa poursuite.

Je m'élançais à mon tour, Targen sur mes talons. Des larmes coulaient sur mon visage.

Nous courûmes dans le noir, montant toujours plus haut, pendant un long moment. Enfin, nous sortimes à l'air libre. L'escalier dégageait sur une large plateforme, le toit de la tour.

Un homme se tenait là. Je le reconnus. C'était l'Intendant. Le traître, qui avait fait tuer ma famille. Earine se tenait devant les marches, silencieuse. Le vent chaud soufflait autour de nous, les nuages noirs grondaient.

Il se tourna vers nous. Son regard était vide, nul doute à présent qu'il avait bu le poison. Contre toute attente, il sourit.

- Vous n'êtes toujours qu'une enfant, dit-il, secoué d'un rire.

Je m'avançais d'un pas. Je le haïssas, le haïssais avec tant de force qu'il aurait déjà dû être morte sur place. J'avais chaud, je brûlais de fureur et de haine. J'avais attendu cet instant toute ma vie.

- Peut-être, murmurai-je. Mais peut-être que cela ne me rend que plus dangereuse.

Il rit de nouveau, secoué d'une quinte de toux.

- Peut-être, admit-il. J'admets que vous devez sûrement l'être, au vu de tout ce que vous avez fait ces derniers mois.

Et je réalisais. Que la petite Laurelin, cachée dans sa chaumière en attendant la fin du monde, avait disparu. Balayée par le temps, la mort et la peur. Une autre avait pris sa place.

- Vous avez tué ma famille, dis-je. Vous avez détruit tout ce que nous avions. Nous avons grandi sans rien, sans famille, ni racines, ni peuples. Des étrangères dans un monde sans roi. Nous sommes loin d'être des enfants innocentes.

Une question me brûlait les lèvres, mais je refusais de la prononcer. Pas à lui. Jamais je ne m'abaisserait à lui demander quoi que ce soit. Au lieu de quoi, je me mis à parler lentement, mon cœur battant à tout rompre et mes pensées courant à toute vitesse.

- Vous avez tué mon père et ma mère, parce qu'ils ont refusé de nous utiliser, moi, mes sœurs et nos pouvoirs, comme vous leur aviez suggéré. C'est évident. Vous avez laissé croire à notre mort pour que personne ne tente de nous retrouver ou nous porter assistance. Nul doute que c'est ce qu'aurait fait la Dame Galadriel ou le Seigneur Elrond s'ils l'avaient su. Vous avez lancé des assassins sur nos traces pour nous faire définitivement taire, car vous saviez que vous ne pouviez plus nous rallier à votre cause. Vous avez volé tout ce que nous avions.

Un long silence suivi mes paroles, bien vite troublé par de lents applaudissements qui me firent sursauter.

- Félicitations, rit l'Intendant. Il semble que vous avez décidé de compenser votre laideur par de l'intelligence.

Je tentais de n'en rien laisser paraître, mais ses mots m'avaient frappés en plein cœur. J'aurais voulu vomir. L'effroi et la honte me submergèrent aussitôt, j'aurais voulu m'enfuir en courant, me cacher. Mes jambes se mirent à trembler. Je n'avais rien d'une princesse, rien d'une reine. Je n'étais qu'une laideron, une anomalie dans ce monde si parfait.

- On dirait que vous suivez vos parents, ajouta-t-il.

Il poussa un soupir.

- Je savais que cela ne fonctionnerait pas, que vous et votre famille de bornés me rattraperaient un jour.

- C'est ce que nous sommes, dis-je, car c'était vrai.

Même les légendes le disaient ; personne, sur cette terre, n'était plus têtu que nous.

- Vous jouez à un jeu dangereux, princesse, dit-il. Vous le savez. Vous avez réveillé quelque chose qu'il ne fallait pas, une force bien trop puissante pour vous et vos petites sœurs.

Je frissonnais, et je savais qu'il avait raison. Et ce, depuis toujours.

- Regardez vous. Jamais vous ne parviendrez à former une harmonie assez parfaite pour la contrôler. Elle vous dévorera vivante. En vous faisant survivre, vos parents vous sacrifient.

Mon sang se glaça dans mes veines. L'Intendant eu un nouveau rire grinçant.

- Je ne veux pas être là lorsqu'ils exploseront.

Je me rendis alors compte à quel point il était près du bord et du vide. Il allait sauter, je le réalisais à présent. Alors que j'allais m'élancer pour l'en empêcher et lui faire payer ses crimes, j'entendis un cri d'Aggur.

- Earine, non !

Je me retournais pour voir ma sœur, sa tresse et ses vêtements flottant dans le vent. Elle se dressa de toute sa hauteur, tendant le plus possible les mains vers le ciel. Et, avec un hurlement de rage, les abaissa d'un seul coup, dans un mouvement d'une violence indescriptible.

Un éclair déchira le ciel et vint frapper la tour et l'Intendant. Le choc me fit voler en arrière avec des débris, heurtant Targen au passage. Je hurlais à toutes forces. Je heurtais le sol avec violence, à moitié agrippée à Targen de peur de tomber de la tour.

Au bout d'un moment, le chaos cessa et la poussière retomba. Je toussai, entendis Targen qui en faisait de même.

- Ça va ? Demandai-je.

- Oui, répondit-il. Et vous ?

- Ça va, dis-je.

Je me redressai péniblement, clignai des yeux avec hébétude. Des gravats parsemaient la plateforme, un grand trou en avait détruit une partie. Le corps de l'Intendant n'était visible nulle part. À quelques mètres, je vis la silhouette d'Aggur.

Je me redressai sur mes jambes tremblantes, accouru vers lui. Il tenait une Earine inconsciente contre lui, sa tête appuyée contre son épaule.

- Elle n'est qu'évanouie, me rassura-t-il.

Des pas résonnèrent dans les escaliers de la tour, et Nessi apparut, suivie de Legolas. Après un regard confus autour d'elle, elle se précipita dans mes bras.

La pluie se mit enfin à tomber, et noya mes larmes de ses gouttes.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant