Chapitre XXVII

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Le château était en pleine agitation, nous en rendîmes bien vite compte. Les serviteurs et servantes s'agitaient dans tous les coins, ouvrant les rideaux noirs, laissant entrer la lumière, chassant la poussière et les toiles d'araignées un peu partout. Toutes les pièces m'étaient vaguement familières, je flottais dans un mélange de découvertes et de souvenirs confus. Ce n'était pas vraiment agréable.

J'appris bien vite que la plupart des affaires de ma famille avaient été détruites. Mardil nous expliquait calmement tout cela alors qu'il nous guidait dans les couloirs et galeries. Mes sœurs ne lui prêtaient pas grande attention, glissant sur les parquets et se penchant aux fenêtres pour regarder au dehors, mais, comme moi, Nolwe restait la plus attentive possible.

Je fis de mon mieux pour essayer de me repérer, mais abandonnait bien vite, faisant ricaner Targen. En fait, dans toute cette folie soudaine, il était le seul à sembler garder un semblant de normalité. Il devait y être habitué.

- Après l'annonce de votre décès, de nombreux serviteurs et servantes ont fait de leur mieux pour récupérer le plus de vos affaires et les cacher pour qu'elles ne soient pas détruites. Ils vous les retourneront au plus vite.

- Tu crois qu'ils retrouveront ma poupée ? Me demanda Earine sans trop y croire.

Je n'osais pas lui dire que ladite poupée avait été laissée à notre campement lorsque ma mère m'avait ordonné de fuir.

- Ça m'étonnerait, répondis-je, tentant d'en plaisanter. Ils ont du en profiter pour la faire définitivement disparaître.

Elle leva les yeux au ciel.

- Si je retrouve au moins le cahier de recettes de maman, je pourrais mourir tranquille, plaisantai-je.

- Quel âge a ce truc, déjà ? Demanda Nolwe avec curiosité.

- Elle m'a dit qu'elle l'avait eu quand elle avait cent ans, je crois, dis-je. C'est une vraie antiquité, je sais.

Nous traversames une bonne partie du château, avant que Mardil ne s'arrête devant une porte aux doubles battants. Dans le bois des portes étaient taillés des motifs indescriptibles, ressemblant vaguement à des assemblages d'arbres et de branches.

- Et voici la bibliothèque, annonça Mardil en ouvrant les portes.

D'immenses étagères s'élançaient dans les airs, grimpant le long des murs. Des balcons et renfoncements dans les murs offraient des tables et des sièges dans lesquels s'installer. Des vitraux coloraient racontaient des histoires qui m'étaient familières, mais que j'aurais été incapable de nommer. Tous les rayons, toutes les étagères croulaient sous les livres, par milliers. Je n'eus même pas le courage de les compter.

Je fondis aussitôt en larmes de joie, manquant d'en tomber assise par terre. Mes sœurs et cousine eurent des expressions admiratives en entrant dans la pièce, mais je marchais déjà entre les rayons, les jambes tremblantes, sans voix. Tant de livres, tant de savoir et tant d'histoires à portée de main. Une multitude de voix qui m'appelaient. Je laissais glisser mon doigt sur une des étagères, les larmes roulant sur mes joues.

- Est-ce que... Est-ce qu'elle va bien ? Chuchota Mardil, inquiet.

- Absolument. Elle est juste heureuse, assura Earine avec tendresse.

- On peut les lire ? Demandai-je, la voix étranglée.

Earine tenta bien de le faire taire à grands cris, mais cela n'empêcha pas Mardil de répondre :

- Bien sûr. Ils sont là pour ça.

Je m'élançais aussitôt entre les rayons en hurlant de joie, poursuivie par mes sœurs et ma cousine. Targen s'étranglait de rire un peu plus loin, se moquant sûrement de moi. Je ne regardais même pas où j'allais, furetant entre les étagères, prenant un livre, l'observant et le reposant à sa place. Étude des champignons, Projections Astrales, Roman guerrier. Mes sœurs me poursuivaient en m'ordonnant de m'arrêter, de reposer ce livre, de ne pas toucher à cette échelle, de "descendre de là, par tous les Valars". Je finis tirée hors de la bibliothèque par Earine malgré mes protestations.

Mardil nous apprit bien vite qu'il ne restait plus rien des appartements de mes parents, mais qu'on en préparait de nouveaux pour nous. Je fus tentée de protester et d'exiger une simple chambre comme celle dont je me contentais à l'auberge, mais me ravisais. Je n'avais pas à leur imposer mes caprices.

Au bout d'un moment, il finit par nous diriger dans le bureau des souverains, que mon père, puis l'Intendant avaient précédemment occupés.

Je me mis aussitôt au travail.

J'appris bien vite que le trésor royal s'était multiplié au cours des dernières années, à cause des taxes imposées à mon peuple, mais qu'en revanche les habitants du Royaume du Nord n'avaient presque plus rien. Grâce aux Valars, ce traître d'Intendant n'avait pas dépensée la fortune du royaume, et il serait donc possible de rétablir l'ordre.

De nombreux Elfes avaient été emprisonnés ou exécutés, et je décidais que ma priorité était tout d'abord d'abolir les taxes inutiles, puis d'examiner les cas des prisonniers avant de juger les partisans de l'Intendant. Puis, enfin, d'indemniser ceux qui avaient perdus des proches sous le règne de l'Intendant

Tel était mon plan. Me concentrer sur les taches les plus urgentes, voir pour le reste plus tard, lorsque la situation serait stable. Mon esprit pessimiste ne cessait de me répéter que ce jour ne viendrait jamais.

Je n'en oubliais pas mes promesses, cependant. Targen, qui s'était rendu compte de ma charge de travail et de l'état de mon peuple, n'avait fait que m'adresser un regard, sans prononcer un mot. Peut-être me délivrait-il de ma promesse, je l'ignorais. Sur son visage s'affichait la détermination et la résignation. Il savait que l'aide que je lui avait promise ne pourrait pas lui être donnée, et semblait se résoudre à s'y rendre seul.

Si seulement il savait. Que chaque heure, chaque minute, chaque seconde, mon esprit me hurlait de trouver un moyen, une solution, peu importait, pour l'aider.

Et délivrer les détenus des assassins de mes parents qui n'avaient que trop attendus.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant