Chapitre IX

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Le feu me brûlait les joues.

J'étais assise sur le sol, à quelques mètres de l'étang, notre campement établi à distance respectable de la terre humide. Nous avions trouvé une autre colline rocheuse sur laquelle nous ne risquions pas d'enflammer la forêt. Le ciel noir était parsemé d'étoiles au dessus de nos têtes.

Après l'incident que j'avais provoqué, nos compagnons avaient jugé plus prudent d'allumer un feu pour éviter de nous faire attraper la mort, à Targen et à moi. Mes vêtements étaient secs depuis un bon moment, à présent, mais mes cheveux étaient toujours humides sur mes épaules et mon dos, bouclant à peine.

Enroulée dans ma cape, je caressais la tête de Nessimelle qui l'avait posée sur mes genoux, le regard fixé sur le feu. Earine n'était pas loin, son regard oscillant entre Aggur et moi. Je n'osais toujours pas le regarder. Tauriel était assise à côté des flammes, ses bras autour d'elle, et Legolas me faisait face, les bras croisés. Quant à Targen, il était reparti dès que ses vêtements avaient été secs, comme si moins de temps il passait avec nous, mieux il se portait.

Une idée m'obsédait, une idée déchirante mais nécessaire, que je devais accomplir seule. Elle était au fond de mon esprit depuis des années, et il était grand temps de l'accomplir alors que j'en avais encore l'occasion.

Je me raclais la gorge, hésitait.

- Nessimelle ?

- Oui ? Répondit ma sœur en se redressant.

- C'est bien toi qui as mes cahiers, n'est-ce pas ?

Elle hocha la tête, tira à elle ma sacoche qu'elle avait déposée non loin. Je la pris sur mes genoux, écartant les pans de ma cape, et la déboutonait, observant avec affection le fouillis de papiers si ordonnés pour moi.

- Je ne les ai pas lus, précisa ma sœur.

- Je sais, répondis-je.

Et, j'ignorais si elle en était seulement consciente, c'était là la plus grande marque de confiance que je pouvais lui accorder. Mes écrits étaient mes biens matériels les plus précieux, mon jardin secret, la seule chose que je possédais. Je serais morte si elle avait seulement ouvert un de ses cahiers. Mais je savais qu'elle ne le ferait pas. Ni Earine.

Je saisis mon cahier le plus pauvre, celui qui était seulement des feuilles dépareillées rattachées par de la ficelle à rôti. Les autres étaient un peu moins modestes, celui-ci était bien le pire que j'avais.

Avec un mélange d'affection et de dégoût, j'effleurai la couverture, passai le doigt sur les premières pages, dont mon écriture d'enfant était presque effacée. J'étais à la fois triste, et en même temps j'avais honte de tout cette crétinerie romanesque. J'avais écrit ces pages pour y déverser tout mes secrets afin de ne pas les laisser échapper à voix haute, ne pouvais-je pas juste me contrôler ? Et s'ils étaient tombés entre de mauvaises mains ?

Je refermai les pages, posai la sacoche à côté de moi. Je remarquai à moitié que tous me regardaient lorsque je me levai, laissant tomber ma cape. J'étais seulement en chemise et pantalon, et mes cheveux dégoulinaient sur mes épaules, mais cela m'importait peu. Il faisait doux ce soir-là.

Avec un sentiment de liberté déchirante, je me dressai, les bras levés, et jetai sauvagement le cahier dans le feu.

Mes sœurs poussèrent aussitôt des hurlements et se précipitèrent, mais c'était trop tard ; le cahier brûlait, dévoré par les flammes. Tauriel, Legolas et Aggur avaient eu un mouvement de surprise, le prince me regardait à présent comme si j'étais folle.

- Finwë ! Toutes tes histoires ! S'écria Earine.

- T'es devenue complètement folle ?! Hurla Nessi.

- Ce n'est pas grave, répondis-je. Ce ne sont pas mes histoires. Elles sont là dedans, dis-je en désignant ma sacoche.

- Pourquoi as-tu brûlé celui-là ?

Je me rassis à ma place, m'enroulais dans ma cape.

- Je ne voulais pas que quelqu'un de mauvais ne le lise.

- Ça n'a aucun sens ! S'écria Nessi. Tu ne veux pas qu'on lise aucun de tes manuscrits, et pourtant tu ne les as pas brûlés.

- Que contenait celui-là ? Demanda alors le prince Legolas.

Je poussai un soupir, fixant les flammes. Je n'avais pas envie d'en parler, je ne voulais pas qu'il sache ce secret.

- Mes pensées, dis-je. Depuis mon enfance, jusqu'à notre fuite. Tout nos secrets et tout ce à quoi je pensais.

- Mais ça représente... Un trésor ! S'exclama Tauriel.

Je la regardais sans comprendre.

- Je veux dire... Jamais personne n'a écrit une telle chose. On se contente de consigner les événements guerriers ou des encyclopédies, lorsqu'on parle du monde réel, expliqua-t-elle. Jamais de... Journal complet sur sa propre vie.

Elle échangea un regard avec le prince Legolas, puis tout deux se tournèrent vers moi, le prince m'adressant un signe de tête signifiant : "elle a raison".

- Mais ça ne change rien. Puisque je n'aurais laissé personne le lire, autant qu'il soit détruit pour éviter cette possibilité.

Elle voulut protester, mais préféra marmonner pour elle-même sous le regard amusé de Legolas.

Earine secoua la tête, l'air de toujours penser que j'étais devenue complètement folle.

Et moi, bien que je n'en montre rien, j'étais complètement désespérée. J'étais triste, j'avais mal. "Mais c'était nécessaire", me répétai-je.

Et dans ma tête résonnait la voix de Calie :

Pourquoi as-tu brûlé notre correspondance ?

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant