Chapitre XVIII

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Nolwe était là, devant moi. Devant nous.

Nous l'avions serrée dans nos bras, mes sœurs et moi, l'embrassant si fort que nous aurions plus lui briser les os. Nous riions et pleurions en même temps, ravies de nous être retrouvée. Je réalisais alors seulement à quel point, me focusant sur la mort de mes parents, j'en avais oublié le reste de ma famille, et à présent ma chère Nolwe m'avait manqué.

Face à nous, jamais nous n'aurions pu affirmer qu'elle était notre cousine. Ses cheveux châtains, que le feu avait fait paraître roux, étaient lisses et brillants. Sa peau était toujours plus foncée que la nôtre, bien que beaucoup plus pâle que dans mon souvenir, ses yeux marrons foncés différaient de nos prunelles bleues. Elle était construite toute en jambes, comme ses sœurs défuntes, et elle était un peu plus grande que moi. Malgré tout, je la trouvais amaigrie, et palichone, comme en voie de rétablissement après une maladie.

Mais ses taches de rousseur étaient les mêmes que les nôtres. Et, avec la lumière diffuse du feu, nous semblions toutes les quatres avoir des cheveux roux.

Nous nous étions tous assis à une table, ma cousine et moi l'une à côté de l'autre. Mes sœurs avaient décrété l'état de fête, et avait trouvé le moyen de soudoyer le propriétaire de l'endroit pour les laisser préparer un gâteau à la table voisine, écoutant la conversation d'une oreille. Je savais que cuisiner leur manquait, et que cela leur permettrerait de se détendre.

Je dus raconter notre histoire, à moi et mes sœurs, omettant volontairement certaines parties. Je restais évasive sur nos dons et ce que nous pouvions en faire, et fit jurer à mon "public" de garder le silence. Après être passée par plusieurs questions, ce fut à notre tour d'en apprendre plus sur notre royaume. Et, à ma grande surprise, ce fut Rávo qui parla le premier.

- Il y a... Quelque chose que vous devez savoir.

Il poussa un soupir, Nolwe posa sa main, aux doigts fins et immenses, sur son bras. Ils échangèrent un regard entendu. Je ramenais un genou contre mon épaule, envoyant mes bonnes manières sur la paille.

- Je suis le fils de l'Intendant.

Je suis simplement restée silencieuse. Legolas fronça les sourcils, Earine et Nessi le dévisagèrent, bouches bées. Que faisait-il là ? Qu'est-ce que cela signifiait ?

- Mon père, le conseiller du roi, avait décidé de prendre le pouvoir, et ce par la force. Je le désapprouvais, mais il n'écouta pas. Je dus assister à l'assassinat de toute votre famille, dit-il, se tournant vers moi et ma cousine, Nolwe semblant déjà le savoir. Il engagea des assassins pour vous tuer, vous et vos parents. Mais vous vous êtes échappées. J'ignore comment, mais vous y êtes parvenues.

J'évitai de me tourner vers Targen, sachant que mon regard me trahirait. Il ne prononça pas un mot.

- Mon père et ma mère ont sombré lentement, continua Rávo. Ils ont semé la terreur parmi votre peuple. J'ai fait de mon mieux pour minimiser leurs horreur, mais ça n'était pas suffisant. Et puis j'ai rencontré Nolwe.

Ma cousine ne put réprimer un petit sourire. Je la savais mal à l'aise face à un trop grand nombre d'inconnus. Une fois dans l'intimité de notre famille, c'était la plus folle de nous tous. Après Earine, bien entendu.

Nolwe se mit alors à raconter.

- Ma famille a été tuée, c'est vrai. Mon père, ma mère et mes sœurs ont été assassinés aussitôt que le père de Rávo eut pris le pouvoir. Mais quelqu'un a eu pitié de moi, les a empêché de finir leur travail. A plaidé ma cause, et m'a sauvé la vie. À la place, j'ai été enfermée dans un cachot, et oubliée.

La culpabilité me serra la gorge. Alors que je marchais dans la neige, toute petite dans la nuit, ma meilleure amie, pas plus âgée que moi, croupissait dans un cachot après avoir vu sa famille être tuée. J'aurais pu l'en sortir depuis si longtemps déjà, me dis-je.

- Je ne me souviens plus quand, ni comment, ni pourquoi, mais un jour, il y avait un homme qui est venu me voir. C'était lui, dit-elle en désignant Rávo d'un signe de tête. Pendant les années suivantes, nous sommes devenus amis. Il m'apportait même de quoi dessiner, lire, ou que sais-je encore.

Je reconnaissais bien là ma cousine. Elle aimait apprendre, mais pas lire. Elle n'aimait pas les histoires abracadabrantes et il n'était pas rare qu'elle se mette en colère pour me sortir le nez de mes romans.

- Seulement, au bout d'un moment, ses parents ont fini par se rappeler de moi, dit-elle.

- C'était de ma faute, ajouta Rávo, mais Nolwe l'interrompit :

- N'importe quoi. Bref, toujours est-il qu'ils ont décidé qu'ils avaient été trop cléments avec moi. Alors ils ont voulu me tuer à mon tour.

J'étais impressionnée et effrayée par son ton détaché. Comme toujours, ma cousine n'incluait pas d'émotions à son récit.

- Alors on s'est barrés.

- Nolwe, souffla Rávo tout bas en secouant la tête.

Earine et moi échangeâmes un regard complice. Je la reprimandais de la même manière lorsqu'elle usait d'un langage trop vulgaire.

- Quoi ? C'est vrai ! Il a réussi à me faire évader-

-Et je ne pouvais pas retourner auprès de mon père après ça, ajouta Rávo. Alors nous avons rejoint des résistants.

Earine haussa un sourcil, et je dus réprimer un sourire. Cela ne ressemblait pas à ce que feraient des amis. Ils devaient être plus que ça, c'était sûr.

- Maintenant que vous êtes là, dit-il en nous regardant, moi et mes sœurs, les choses vont aller bien plus vite. Il est grand temps que tout cela cesse.

Et je le sentis. Pour la première fois que nous étions entrées dans cette citée, je le sentis. L'espoir. Dans les yeux de Rávo et ceux de Nolwe, et de tout les autres. Ils avaient foi en moi, et ils espéraient en l'avenir.

- On va pouvoir renverser mon père, dit-il enfin.

- C'est sûr, répliqua Earine en s'avançant avec Nessi qui portait un plat. Mais d'abord on mange le gâteau.

Et j'ai applaudi, vite suivie de Nolwe.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant