Chapitre II

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Je marchais en silence. À ma droite, Nessimelle avançait également en cadence, bavardant gentimment avec Tauriel. Devant nous, à quelques mètres de distance, Earine et Aggur se chamaillaient à moitié comme des enfants. Le prince Legolas menait notre troupe, observant les alentours alors que nous avancions. Targen surveillait nos arrières.

Il parlait peu, et je ne cessais de réfléchir à son propos. Plus nous nous approchons du Royaume du Nord, plus je me mettais à douter de l'état dans lequel nous allions retrouver le royaume de mes parents. Si cela était aussi mauvais que je le craignais, il allait me falloir beaucoup de temps, peut-être même des années, pour réajuster la situation. Comment honorer ma promesse et sauver sa sœur et les opprimés retenus par la troupe d'assassins de mes parents avec nos armées dans ces conditions ? Et si nous y parvenions, que se passerait-il ensuite ?

Cette question, j'en connaissais déjà la réponse. J'offrirais à ceux qui le souhaitent une place au royaume, je laisserais les autres partir. Si leur état était trop mauvais pour cette Terre, je ferais amarrer des bateaux pour Valinor et les laisserait y aller. Sans moi. J'aurais un royaume à diriger. Targen les suivrait-il ? Cela serait logique. Et ce serait dommage.

Encore aurait-il fallu que je parvienne à reconquérir mon trône. Que se passerait-il si j'échouais ? Les imposteurs qui avaient pris ma place me tueraient-ils ? Et mes sœurs ? Et mes compagnons de route ? Croupirais-je dans un cachot jusqu'à la fin de mes jours, incapables de rejoindre ma famille en Valinor ?

Je poussai un soupir et ralentis l'allure, laissant ma sœur et Tauriel partir devant, et attendant que Targen me rattrape. Il ne dit rien en me voyant venir calquer mon pas sur le sien, mais je guettais tout signe d'innapprobation sur son visage. La dernière chose que je souhaitais était de lui déplaire. Quoique cela n'avait pas grande importance. Ou peut-être que si ? Je n'en savais rien.

- Vous pouvez me le dire, si vous souhaitez que je parte, dis-je au bout d'un moment.

- Votre présence ne me dérange pas.

Comme s'il me l'aurait dit si ça avait été le cas. Quoique, il en aurait bien été capable.

Personne n'avait jamais évoqué son passé, et il semblait que tout le monde s'était mis d'accord que c'était à moi de le faire.

- Comment s'appelle votre sœur ?

C'était le meilleur moyen de commencer. Lui parler de quelque chose qu'il aimait et chérissait, et sans doute la seule chose qu'il avait.

- Elenwë, répondit-il.

- J'aime ce nom, murmurai-je pour moi même. Comment est-elle ?

Il leva le regard, un léger sourire sur les lèvres. Il observait mes sœurs qui se couraient après pour se mettre des feuilles dans les cheveux.

- Belle. Et intelligente. Et douce, aussi. Bien que terriblement agaçante.

- Ça doit être une chose de petites sœurs, notai-je, désignant mes sœurs qui braillaient du menton.

- Ça doit l'être, en effet, dit-il, et je crus entendre l'ombre d'un rire dans sa voix.

Une victoire, un miracle ! Ce n'était pas tout à fait un rire, mais c'était déjà quelque chose. Cela me rendit brusquement joyeuse.

- Était-elle avec vous ? Je veux dire, avant le... Euh... Quand vous étiez... Désolée, bredouillai-je, sentant la chaleur me monter au visage.

Embarrassée, je gardais le regard fixé sur mes chaussures, me demandant ce que je fabriquais là.

- Tout va bien, Laurelin, répondit Targen. Il n'y a pas besoin d'essayer de prendre le sujet avec des pincettes, comme vous le dites. Appelons un chat un chat, "avant que nous soyons arrachés à vos villages pour rejoindre une troupe d'assassins".

Je restais sans voix. Avais-je commis une erreur ? J'en avais peur, bien que son ton est été calme. Je fus horrifiée par ses propos, je n'avais pas imaginé que l'enrôlement des assassins se faisait de cette manière. Une bouffée de colère me monta à l'esprit. Contre l'homme aux yeux d'or, contre ses hommes, contre la terre entière.

- Très bien. Combien pensez-vous que ce groupe comporte-t-il de tueurs ? Demandai-je de but en blanc.

- Je l'ignore, répondit-il. En vérité, ceux qui tuent sont rares, la plupart sont simplement des villageois, et sont, pour la plupart, retenus comme moyen de pression sur les assassins, du moins, au début.

- Oh. C'est pour ça qu'Elenwë a été emmenée avec vous.

Pour le forcer à faire leur sale boulot. Horrible, mais stratégique.

- Où était votre village ?

Il poussa un soupir.

- Vous n'êtes pas douée pour tenir une conversation, Laurelin.

- Vous non plus, répliquai-je.

- C'est pourquoi je n'essaie pas.

- Mais comment pourrais-je vous faire confiance, dans ce cas ?

Je jouais avec ses sentiments, je le savais. Je lui faisais déjà confiance, inexpliquablement. Et, de plus, il ne savait rien de moi.

- Vous ne pouvez pas, répliqua-t-il.

- Je le dois. Sinon, je ne pourrais jamais vous aider avec... Vous savez...

"Avec ma manie de réparer votre tête comme si c'était un plat cassé", oui. Mieux valait le garder pour moi.

Malgré tout, je le comprenais. Plus que n'importe qui d'autre, je savais qu'il y avait des moments où j'étais incapables d'articuler un mot et d'autres où je parlais si vite que personne ne comprenait un traître mot à ce que je racontais.

- Mais je comprends, déclairai-je. Ce n'est pas grave.

Je n'avais plus qu'à espérer qu'il accepte ma confiance. Parce que je n'étais pas dupe, il ne se faisait pas confiance à lui-même. Et comment aurait-il pu me laisser lui faire confiance lorsque lui-même n'y parvenait pas ?

Et, alors que je pensai tout cela, je me rendis compte à quel point nous nous ressemblions. Et cela m'effraya tellement que je préférais accélérer l'allure et passer le reste de la journée dans le silence, ressassant mes pensées pour moi-même.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant