Chapitre VI

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Longtemps, je restais prostrée ainsi. J'étais incapable de bouger, ressassant encore et encore les mêmes pensées. La nuit finit par tomber doucement, m'enveloppant dans sa fraîcheur, et les étoiles se dessinèrent doucement et lentement dans le ciel, mais je ne cessais de me répéter les mêmes mots. Qu'avais-je fait ? Qu'avais-je fait ? Qu'avais-je fait qu'avais-je fait qu'avais-jefaitqu'avais-jefait-

- Alors ? Comment vous vous sentez ?

Targen s'était exprimé avec nonchalance, me coupant dans mon train de pensées. Je levai un œil et lui lançai un regard. Il était étendu dans l'herbe, les mains croisés derrière la nuque, observant le ciel noir. Il ne me regardait même pas, à vrai dire, si je n'avais pas été la seule personne dans un rayon de dix mètres, j'aurais pu croire qu'il se parlait à lui même.

- Quoi ?

- D'être une meurtrière, je veux dire.

Il m'avait lancé un drôle de sourire, presque moqueur. Ses mots me firent froid dans le dos, et je me tournais vers le campement. Nos compagnons parlaient à voix trop basse pour que je les entende, mais j'aperçus Earine, tout près de son amant bien vivant, sa main dans la sienne. J'étais trop loin pour voir son visage, mais il n'avait pas l'air mourant. Ni même blessé. Juste un peu perturbé.

- Je ne suis pas une meurtrière, répondis-je d'un ton acide.

Targen haussa un sourcil.

- Alors pourquoi restez-vous ici ?

Il reporta son attention sur le ciel. Je l'observai du coin de l'œil, me demandant ce qu'il racontait vraiment. À tout hasard, je dépliai mes membres ankylosés en grimaçant de douleur, m'allongeai sur dos, plaçant comme à mon habitude mes mains sur mon ventre.

- Vous êtes blessée ? Me demanda Targen avec toujours ce détachement dans sa voix.

Je testais mes muscles.

- Non.

- Bien.

J'imitais alors son activité, observant le ciel étoilé au-dessus, tentant de calmer mon esprit paniqué et effrayé.

- Qu'est-ce que vous avez fait, Laurelin ?

Je me mordis la lèvre, tentant vainement de retenir les larmes qui coulèrent sur mes tempes.

- Je l'ai presque tué, dis-je d'une voix étranglée. Je l'ai-

- Ce n'est pas ce que je vous demande.

Il avait parlé avec calme, mais je dus me retenir de le frapper. Amusant, une crevette contre un loup.

- Alors que me demandez-vous ? Rétorquai-je.

- Une déduction. Vous savez faire ça, vous, vous êtes toujours capable de décoder les moindres faits et gestes de chacun. Je ne vous demande pas les faits, Laurelin, je vous demande d'en déduire ce qu'il s'est passé. Alors, qu'est-ce que vous avez fait ?

Je pris un long moment pour réfléchir. J'avais laissé mon imagination prendre le dessus sur ma volonté, je n'avais pas réussi à l'empêcher de faire naître une idée dans ma tête-

- J'ai perdu le contrôle.

Il sourit.

- Exactement. Et pourquoi est-ce si effrayant ?

- Parce que je ne l'ai pas fait exprès. Alors je pourrais recommencer.

Il eut un nouveau sourire.

- Que m'avez-vous dit, lorsque je vous ai demandé ce que vous feriez si je perdais à nouveau le contrôle ? Demanda-t-il.

Je tournais légèrement mon regard vers lui. Il était étrangement calme, presque serein, alors qu'il observait les étoiles.

- J'ai dit que je viendrais vous chercher encore, murmurai-je. Que je vous trouverai, où que vous soyiez. Que je vous empêcherai de perdre totalement le contrôle de vous-même.

Il se tourna vers moi.

- Le feriez-vous ?

- Oui.

- Sans hésitation ?

- Sans hésitation.

- Alors j'en ferais de même pour vous.

Et il se retourna vers le ciel. Après un court moment durant lequel j'eus peur que mon regard ne devienne insistant, je lui tournai le dos, me tournant sur le côté.

- Mais vous ne pouvez pas me protéger contre moi-même.

J'avais parlé bas, si bas que je ne pensais pas qu'il aurait pu m'entendre, et pourtant je l'entendis rire.

- C'est pourtant ce que vous faites pour moi.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant