2. Emilyne

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Rentrée, reprise des cours, 7h30

    De retour dans ce maudit métro. Depuis l'incident de la semaine dernière, j'avoue avoir peur d'y remettre les pieds, mais je n'ai pas le choix. Ma faculté est plus loin que l'hôpital où je travaillais. Alors je suis obligée de reprendre ce foutu train. Je trouve par miracle une place assise et m'y hâte avant que quelqu'un la prenne. Après m'être assise, je bascule ma tête en arrière tout en soufflant. Les informations avaient dit que c'était sûrement des jeunes, bien cagoulé, qui avait provoqué l'incident et qu'ils devaient sûrement porter des gants parce qu'aucune empreinte n'a été retrouvée sur les parois extérieures du train. Ils devaient être nombreux pour réussir à faire bouger tout le wagon avec tout le monde qu'il y avait. Le train s'arrête à ma station et je descends. Je dévale les escaliers pour sortir de cet endroit et retrouve l'extérieur avec un sourire assez mitigé. J'avais presque oublié pendant les vacances que le quartier où se trouve ma faculté est horriblement moche. A peine sortie, je me fais aborder par des vendeurs de cigarettes ambulants et des vendeurs de journaux. Je tente de tous les esquiver et traverse la route en faisant attention de ne pas me faire renverser par le tramway qui passe. Je regarde à droite puis à gauche. Si je prends à droite, je dois longer la route puis tourner à gauche pour arriver devant la grille, ouvrir mon sac et montrer ma carte pour pouvoir entrer. A droite, je passe par l'hôpital relié à ma faculté, je traverse un parking et je rejoins les amphithéâtres sans être dérangée. 

    Je tourne les talons et me dirige à droite. Je traverse alors l'hôpital entre les malades et le personnel qui me regarde d'un drôle d'œil. Il faut dire que je suis là, en train de déambuler avec mon sac à dos sur les épaules et le sourire, devant des gens qui visiblement ne finiront pas la semaine. Je jette un œil à la cafétéria de l'hôpital. Mon regard et mon odorat sont occupés par une fournée de donut au chocolat. Mon ventre se met à gargouiller et soudain je rentre dans quelqu'un. Mon front avait heurté quelque chose de dure, peut-être du métal. Je me frotte le haut du crâne puis lève la tête vers la personne que j'ai violemment heurtée. C'était un homme, brun, avec une carrure plutôt dessinée, mais pas non plus imposante. Il portait une tenue uniforme à manches courtes et la chose sur laquelle je me suis cogné était visiblement un stéthoscope. Je dessine son torse du regard à travers son haut puis je relève la tête vers lui. Il me regarde de ses grands yeux bleus et me sourit. Je rougis de honte et me recule. Il se passe une main dans les cheveux avant de me tapoter l'épaule.

- Fait attention où tu marches, Princesse

    Son dernier mot est presque chuchoté et il le prononce en partant. Je me retourne immédiatement et le regarde avec étonnement. J'en devine à la couleur de sa tenue que c'est un externe de l'hôpital. C'est-à-dire qu'il doit sûrement être dans ma faculté, en médecine. Peut-être quatrième ou cinquième année. Je tourne les talons puis repars quand une question me taraude l'esprit. Il m'a bien appelé "Princesse" ? Comme l'homme dans le métro la semaine dernière. Et si.. Le temps que je réfléchisse et que je me retourne de nouveau, il n'était plus là. Je souffle et reprends ma marche. Puis si cela se trouve, j'ai juste une tête à me faire appeler Princesse par les beaux garçons qui sait.

*******

    Je rentre enfin dans la faculté. J'ouvre la porte pour accéder au -1 de l'établissement et descends les escaliers. Dans le hall devant l'amphithéâtre, une nuée de premières années mêlée à quelques deuxièmes années. Voir autant de monde me glace le sang. Je finis les dernières marches avec précaution et essaie de rejoindre la machine à café. Je commande un café viennois tout en regardant le troupeau de futurs déprimés entrer dans les amphis, ne laissant que ceux qui ont déjà subi une ou deux fois le courroux de la PACES. Je prends mon café et je pars m'asseoir contre un mur. Au final, je suis venue si tôt parce que je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Je regarde mon téléphone pour voir si Tania me rejoint bientôt. Evidemment, je n'ai pas de réseau. Je soupire puis sirote mon café en balayant du regard ceux qui seront dans ma promo. Je fronce les sourcils en me rendant compte que de tous ceux que je vois, je ne connais aucun prénom. Ce qui est peut-être normal étant donné que l'année dernière nous étions 1700 et que je ne parlais pas à grand monde. Je rapproche mes genoux de ma poitrine et finis mon café. J'observe le hall miteux qui se dresse devant moi. La deuxième machine à café est toujours en panne et le distributeur a encore coincé les chips goût barbecue. Je le sais parce que je vois deux énergumènes foncer dans la vitre à grand coup d'épaule. Ils sont abrutis ma parole, il suffit de taper sur le côté, ils vont juste casser la vitre. L'un d'eux secoue la machine de toutes ses forces et le paquet tombe par miracle. Je me lève pour aller jeter mon gobelet et en me retournant, je croise le regard de mon amie. 

- Donc je t'appelle et tu réponds pas ? Je pues moi ?

- Tania, je capte pas ici..

    Elle fronce les sourcils puis prend elle aussi un café. Un café long sans sucre. Je grimace à chaque fois qu'elle prend ça. Comme elle peut avaler un truc aussi amer. On part s'asseoir là où j'étais déjà assise précédemment et je la regarde boire son café. Je prends une mèche de ses cheveux bouclés et la regarde. Ses cheveux sont mi-longs et rougeâtres. Je souris en la voyant sourire. Elle a l'air contente que j'ai remarqué qu'elle s'était recoloré les cheveux. Elle qui se plaignait l'année dernière d'avoir dû abandonner sa sublime couleur. Je regarde ma montre et constate que l'amphi de présentation va bientôt commencer. Je me lève, entraînant Tania avec moi en la tirant par le bout de son manteau. On s'y dirige, mais l'amphithéâtre numéro 3 qui est assez petit. Nous nous asseyons au fond.

****

    J'ai bien cru que cela n'en finirait pas. En sortant nous sommes exténués. Tania me fait signe qu'elle doit partir, je suppose que son copain est venu la chercher. Il fait tout le chemin depuis la faculté de pharmacie pour la voir. J'en suis presque jalouse. Je lui dis au revoir en levant mon majeur et déambule dans le hall. Je prends les escaliers et descends à l'étage encore en dessous pour m'acheter à manger à la cafétéria. Evidemment, il fallait s'y attendre, la queue est plus longue que le couloir. Je remonte en vitesse et réfléchis à une solution. Mon esprit me rappelle les donuts de ce matin et j'entends mon ventre crier famine. Je monte au rez-de-chaussée et me dirige de nouveau vers l'hôpital. Peut-être verrais-je l'externe de ce matin ? Je n'espère pas. Lui avoir rentré dedans, c'était trop pour moi. Et puis qu'est ce que je lui dirais ? "Salut, c'est toi le gars du métro ?" il va me prendre pour une folle quoi qu'il arrive. J'avance dans le parking quand soudain mes yeux sont attirés vers une lumière violacée derrière une ambulance. Je la regarde en marchant au pas. Je vois de très loin quelqu'un, une silhouette s'approcher et la lumière disparaît. J'avoue ne pas vraiment comprendre puis entre dans l'hôpital avec un air décontenancé. Quelles machines pourraient émettre une telle lumière ? Je passe à la cafétéria et commande une formule que je trouve bien trop cher pour un sandwich et une boisson. Le caissier me sourit et je lui rends. Je paye puis part m'asseoir dans le hall de l'hôpital visiblement désert. J'attaque mon sandwich en y déposant un croc. Nonobstant, je suis de nouveau interpellée par la lumière violacée qui surgit dehors et que je peux percevoir par une des fenêtres de l'hôpital. Quelqu'un en sortit. Sûrement la silhouette de tout à l'heure. Il entre dans l'hôpital et me fixe directement. C'était un interne, visiblement énervé. Il continue de me fixer, tout en s'avançant vers moi. Il est beaucoup plus imposant que l'externe de ce matin et semble aussi plus âgé, ce qui semble logique vu que c'est un interne.. Perspicace Emi. Je continue de le regarder tout en croquant mon sandwich. Je peux apercevoir des tatouages sur tout son bras droit et une boucle d'oreille sur son oreille gauche. Il s'arrête devant moi et fait le piquet. Je continue de le regarde et penche la tête. Je joue les arrogantes alors que je pense qu'en une baffe bien placée, il peut me mettre dans le coma. Je le vois s'accroupir pour se mettre à ma hauteur et il m'adresse enfin la parole.

- Ici c'est pour les patients. Tu sembles en bonne santé donc tu préfères pas manger dehors ?

Mais quel culot celui là ! 

- Je dérange personne en restant ici, grincais-je. 

- Tu me déranges moi et c'est déjà beaucoup.

    Je me lève, furieuse. Sous prétexte qu'il est interne il se permet de me parler ainsi. Je prends ma boisson et mon sandwich et sort de suite de l'hôpital. Enfin dehors, je pars m'asseoir contre un mur et reprends la dégustation de mon sandwich bon marché. Je décide de me plaindre à Tania et en voulant prendre mon téléphone dans mon sac, je me rends compte que je ne l'ai pas. J'ai dû l'oublier à l'hôpital. Je me lève, encore plus énervée. Je n'ai pas le temps de faire un pas de plus que je me trouve nez à nez avec un imposant torse. L'interne de tout à l'heure me regardant en grinçant des dents. Il jette mon sac à côté de moi et fait demi-tour. Mais quel culot ! Il commence à me taper sur le système celui-là, ce n'est pas possible d'être aussi désagréable et en même temps de vouloir vouer sa vie aux autres. Je me rassois et prends mon téléphone. Je le déverrouille en tapant mon code et je tombe sur une page de contact. Un numéro que je ne connais pas avec un nom.. "Alan". Je lève la tête assez étonné puis regarde l'entrée de l'hôpital. Et si c'était l'interne qui s'était amusé à mettre son numéro ? J'étais à deux doigts de me lever pour lui en coller une jusqu'à ce que je relève quelque chose de plus important. Mon code étant ma date de naissance, comment a-t-il pu le déverrouiller..?

J'y croyaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant