Ethan
— Fais chier ! je râle en essayant d'attraper une bouteille dans le réfrigérateur.
J'envoie mes poings valser contre les accoudoirs de mon fauteuil roulant, tout en me maugréant d'être un vulgaire... légume.
Je n'ai jamais voulu devenir cet homme.
Après un dernier effort, ma main se resserre autour de la bouteille d'eau. Je fais claquer la porte d'un geste rageur, faisant se secouer tout ce qui se trouve à l'intérieur. La bouteille coincée entre mes cuisses, je fais tourner les roues de ce foutu fauteuil afin de rejoindre le salon. Je me poste devant la fenêtre pour regarder la ville, en pleine effervescence à cette heure de la journée. Les gens vont et viennent dans les rues, telles des abeilles dans une ruche. Je me surprends à les envier. Il y a encore quelques semaines, j'avais une vie qui me suffisait amplement, mais tout est différent aujourd'hui.
Voilà à quoi j'en suis réduit ! je pense tristement.
Mon spleen se renforce quand je vois passer une voiture de la Gendarmerie. Mes mains se resserrent sur mes accoudoirs. En grimaçant, je regarde les fixateurs externes qui maintiennent ma jambe. Si j'en avais vraiment le courage, je me mettrais sûrement à chialer, mais même ce petit geste me semble dénué de sens. Je fais demi-tour pour m'approcher du canapé. Avec difficulté, je me fais glisser contre le tissu en velours marron et j'attrape ma jambe, que je pose délicatement contre la table basse. Dans un élan de lassitude, ma tête s'échoue contre le dossier.
Putain ! Mais pourquoi moi ?
Si j'avais devant les yeux ce fils de pute qui m'a laissé dans cet état, je crois bien que je pourrais lui démolir la gueule sans hésitation. Malheureusement pour nous deux, sa voiture s'est retournée dans un fossé, quelques kilomètres plus loin, le privant de sa vie. Mes pensées s'assombrissent davantage, quand je pense à mon collègue, qui ne s'en est pas sorti.
Je ne lui ai même pas rendu un dernier hommage.
Sa femme attend leur premier enfant, je n'ai pas pu aller la soutenir dans cette épreuve. J'étais cloué dans ce putain de lit d'hôpital, mon tibia ayant fait une jolie apparition à travers ma chair. Je frisonne au souvenir de cet accident. Je masse mes tempes douloureuses, quand la porte de mon appartement s'ouvre brusquement.
— Ethan ?
La voix de ma mère retentit, toujours emplie d'autant d'angoisse.
— Je suis là ! je réponds d'un ton las.
Elle dépose sur mon front un léger baiser et me pose la stupide question, que les rares personnes susurrent du bout des lèvres quand elles viennent me voir.
— Comment vas-tu ?
Je respire un grand coup. En essayant de paraître le plus convaincant possible, je lâche :
— Ça va !
Je ferme les yeux pour éviter qu'elle ne me sonde, comme le font toutes les mères. Je sais qu'elle ne croit pas un traite mot de ce que je raconte, mais elle ne dit rien. Elle s'assoit près de moi et caresse lentement ma joue. Ses yeux reflètent la compassion qu'elle ressent de me voir dans cet état. Depuis mon accident, elle semble avoir vieillie de dix ans.
Je m'en veux, bordel !
Il faut dire que tout n'a pas été franchement rose ces derniers mois. Je n'ai pas vraiment été le fils idéal, mais les circonstances ont joué en ma faveur. Non seulement, je supporte ces tiges qui me transpercent la jambe et qui m'empêchent d'exercer le métier que j'aime, mais j'ai aussi dû faire face au départ de ma femme.
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la vie arrachée
RomanceA trente-huit ans, Ethan mène la vie qu'il souhaitait. Un métier qui le comble. Une femme qu'il adore. Lorsque, à la suite d'un accident de la route, ce gendarme perd l'usage d'une de ses jambes, son monde s'écroule. Non seulement, il se sent dimin...