2 - L'été olympique

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Selon lui, Jilian Break était tout ce qu'il y avait de plus heureux en ce monde.

Tout au moins c'était ce qu'il aimait se raconter. Ou ce qu'il racontait à sa mère, mais d'une certaine façon ces deux choses revenaient quelque peu au même. À chaque fois qu'elle appelait, elle s'inquiétait de le savoir seul. Elle disait toujours que s'il lui arrivait quoi que ce soit, personne ne le saurait. Personne ne dirait rien. Personne ne s'en rendrait compte. À ceci, Jilian riait toujours gentiment de son côté du téléphone, amusé devant cette inversion des rôles. Sa mère vivant seule avec une santé fragile et trois chats, il devrait être celui qui s'inquiète, celui qui insisterait pour qu'elle ait des gens autour d'elle, et si possible des gens qualifiés. Il n'en faisait jamais rien. Malgré un cœur fatigué, il fallait bien admettre que Miranda Break se portait merveilleusement bien. Elle aurait presque pu courir un marathon, si seulement elle y voyait un quelconque intérêt. Tu te rends compte, ils sont tellement occupés à courir qu'ils ne regardent même pas le paysage autour ! C'est dommage quand même d'aller dans de si beaux endroits pour se préoccuper uniquement d'où on pose le pied...

Il avait si souvent eu des discussions de ce genre avec elle. Déjà quand il était enfant, il n'avait pas beaucoup d'amis. À l'époque pourtant il essayait. Il envisageait toutes les techniques possibles. Au collège, après avoir passé l'été à suivre les jeux olympiques sur la télé du salon, il était arrivé à la conclusion que les sportifs étaient toujours mieux vus. Par conséquent, il fallait qu'il se mette au sport. Il avait passé l'été dans le salon à slalomer d'un sport à l'autre en se demandant lequel pratiquer. L'étude des mouvements des sportifs était quasi scientifique. Assis au pied du canapé ou sur la table basse, il passait des heures à croquer les athlètes dans les poses qu'il estimait clé. Quand sa mère finissait par le décoller de là pour l'envoyer se coucher, il passait encore un temps interminable à compulser et étudier ses dessins, passant de l'un à l'autre en essayant de visualiser son propre corps sur le papier. À quoi ressemblerait-il s'il s'essayait lui-même au saut à la perche, à l'escalade ou au tir à l'arc, ses sports préférés ? C'était bien là l'épineuse question. L'été passa d'ailleurs sans qu'il puisse y répondre. Si bien qu'il ne se décida jamais à tenter l'un ou l'autre. Quand les jeux olympiques finirent, il rangea papier et crayons. Il était temps de passer à autre chose. Il avait continué de regarder le sport pendant quelques temps encore, persuadé que faire en sorte d'être au courant de ce qui se passait lui permettrait au moins de pouvoir suivre les conversations autour de lui, et qui sait, de pouvoir y participer. Une tactique qui s'était révélée plus porteuse...

De cet été, il restait donc des centaines de croquis que sa mère avait gardés avec tout le soin qu'on connaît aux mères, mais aussi des souvenirs de conversations interminables avec elle. Étant ingénieure du son dans un studio d'enregistrement, ses horaires n'étaient pas des plus régulières. Selon les projets et les besoins des artistes, elle pouvait faire des journées aux horaires élastiques à n'en plus pouvoir, des journées comme des horaires de bureaux ou simplement travailler de chez elle avant d'obtenir une semaine de repos bien mérité en attendant le prochain projet. Pendant cette semaine, une règle implicite voulait qu'on n'écoute absolument aucune musique afin qu'elle puisse reposer ses oreilles de leur dur labeur. Jilian avait très vite appris à se débrouiller tout seul. Cet été-là, quand elle était à la maison, elle fit en sorte de s'installer aux côtés de son fils aussi souvent que possible. Ils regardaient alors les jeux olympiques ensemble. Miranda n'appréciait pas particulièrement le sport. Elle n'y voyait guère d'intérêt. À part peut-être celui de passer quelques moments avec son fils. Comme beaucoup, elle jugeait qu'il était de son devoir de mère de s'inquiéter de l'entourage de sa progéniture, et elle s'inquiétait de savoir son fils si seul. Toutefois, elle ne pouvait s'empêcher de saluer son esprit d'initiative et sa volonté de trouver un moyen de s'intégrer. Aussi faisait-elle tout son possible pour l'encourager. Elle savait qu'il viendrait vite, le temps de l'adolescence où il prendrait son inquiétude pour un fardeau insupportable à porter. C'était maintenant et maintenant uniquement qu'il pouvait accepter qu'elle l'aide.

Littéralement l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant